Songes du Pays de Wa

Songes du Pays de Wa

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Songes du Pays de Wa

Sommaire

Avant propos. 3

Yoshitaka : La valeur pédagogique de la souffrance. 5

Kiba : substituer le jugement Ă  l’empathie. 12

Avant propos

Dans la cosmogonie hindouiste, Brahma est un dĂ©miurge qui engendre l’Univers en rĂŞvant ; Las de sa divine solitude, il crĂ©a Maya pour jouer avec Lui. Suivant les conseils de cette dernière, Brahma donna naissance au plus magnifique jeu qu’il soit : l’Univers. A l’issue de cette divertissante & illusoire crĂ©ation, la dĂ©esse sĂ©para Brahma en une multitude de particules qu’elle rĂ©pandit dans chaque ĂŞtre humain ; ainsi fractionnĂ©, le dĂ©miurge oublia qui il Ă©tait et prit part au jeu que la malicieuse Maya lui avait concoctĂ© : se dĂ©couvrir lui-mĂŞme par le biais de cette myriade d’erzats que sont les ĂŞtres humains.

Ce recueil de nouvelles est le fruit de nombreuses parties de Jeu de RĂ´le oĂą sept amis vĂ©curent de palpitantes aventures sorties tout droit de l’imaginaire fertile d’un MaĂ®tre du jeu talentueux. Par ce biais, Ă” combien ludique & vain, qui valut aux membres de la tablĂ©e des rĂ©criminations incessantes de la part de leurs amis, familles & compagnes d’alors, nous avons tous appris Ă  mieux nous connaĂ®tre.

A l’instar de Brahma, nous avons incarnĂ©s de multiples personnages dans de multiples situations virtuelles qui nous ont mis face Ă  des choix, des cas de consciences & des sentiments que la morne rĂ©alitĂ© du XXIème refusait de nous donner. Par ce divertissement tout Ă  fait Pascalien, nous avons pu nous extirper d’un rĂ©el d’une banalitĂ© affligeante pour nous rĂ©fugier dans un imaginaire oĂą nos idĂ©es, nos choix et nos actes avaient un impact.

Il y a cependant une douce ironie Ă  cette fuite dans l’imaginaire : rĂŞver d’une vie aventureuse et hĂ©roĂŻque nous a permis d’accumuler une somme de connaissances et de compĂ©tences d’une utilitĂ© incontestable dans la vie quotidienne. D’une certaine manière, nous sommes sortis du jeu de rĂ´le par le jeu de rĂ´le. Les aventures que nous vivions Ă©taient imaginaires mais les sensations, les sentiments & les rĂ©flexions qu’elles provoquaient en nous Ă©taient loin, elles, d’ĂŞtre virtuelles.

Je voudrais donc aujourd’hui partager avec vous ─lecteurs─ ces rĂŞveries. J’ose espĂ©rer qu’elles vous divertiront, qu’elles vont donneront, peut-ĂŞtre, matière Ă  rĂ©flexion & surtout qu’elles parviendront Ă  rendre hommage Ă  ce MaĂ®tre du Jeu gĂ©nĂ©reux, bienveillant mais un peu fou qui, par son seul talent d’improvisation, nous a tant apportĂ©.

Damien

« La gratitude est le paradis lui-même. »

William Blake

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    Yoshitaka : La valeur pédagogique de la souffrance

          Beaucoup d’ĂŞtres ont tentĂ© et tentent encore de dĂ©finir ce qu’est la Vie ; d’en dĂ©terminer l’origine, le sens, les limites. Il y a d’innombrables dĂ©finitions Ă  la notion de Vie et nous allons, dans l’histoire qui va suivre, aborder l’une d’entres elles. Ce ne sera ni la plus noble, ni la plus belle, ni la plus attrayante mais, peut-ĂŞtre, sera-t-elle la plus instructive.

            Il existe en ce monde des âmes si fragiles qu’elles ne peuvent ĂŞtre qu’Ă©phĂ©mères, des âmes Ă  l’Ă©quilibre si prĂ©caire que face aux vicissitudes de l’existence elle choisiront le nĂ©ant. Pour les ĂŞtres dotĂ©s de telles âmes, aucune homĂ©ostasie n’est possible : la vie est une souffrance de chaque instant, le monde un purgatoire et leurs semblables des dĂ©mons.

            La survie de tels ĂŞtres ne dĂ©pend que d’une seule et unique chose : leur capacitĂ© Ă  changer le monde. Mais qui peut prĂ©tendre imposer sa volontĂ© Ă  d’autres entitĂ©s, Ă  la matière, Ă  l’Ă©nergie ? Qui peut prĂ©tendre forger le RĂ©el selon son bon vouloir, si ce n’est un Dieu ?

Il Ă©tait une fois, dans le Pays de Wa, une confrĂ©rie de cinq combattants. Chacun d’eux Ă©tait l’incarnation d’une vertu : Devoir, VolontĂ©, Courage, Justice et AmitiĂ© fraternelle. Au fil des annĂ©es et au grĂ© des combats ils avaient appris Ă  se connaitre, Ă  se respecter et surtout Ă  ne faire qu’un face Ă  l’adversitĂ©. « Nous ne sommes pas nĂ©s le mĂŞme jour mais nous mourrons le mĂŞme jour » telle Ă©tait leur promesse, tel Ă©tait leur credo…

Ces samouraĂŻs —serviteurs— Ă©taient unis, pas seulement par leur serment ou par leur allĂ©geance Ă  un maitre mais par un idĂ©al : apporter l’Harmonie aux Terres du Milieu. Certaines nuits, Ă  la faveur des chaleurs combinĂ©es de l’alcool, d’un feu et des femmes ils se laissaient aller Ă  la rĂŞverie ; Ils rĂŞvaient ensemble du jour oĂą ils seraient libres, du jour oĂą le règne de la paix les affranchirait du fardeau harassant de leurs fonctions.

« — Un jour, ma petite, la paix règnera et tu pourras te vanter d’avoir passĂ© une soirĂ©e avec l’un de ses instaurateurs, dĂ©clara Wang Work Ă  une geisha.

— Et qu’est-ce qui te fait croire qu’elle ou toi vivrez assez longtemps pour en profiter, lança Tan Zaemon sarcastique.

Wang Work qui Ă©tait jusqu’alors nĂ©gligemment avachi sur un parterre de coussins finement brodĂ©s, rĂ©pondit instinctivement Ă  la provocation en redressant son buste large et puissant. Achevant de reprendre une posture dĂ©cente, il rĂ©torquant fièrement :

— Le tranchant de mon sabre, Maitre de l’Ă©cole du PhĂ©nix.

Les deux samouraïs prirent un air sérieux et se toisèrent tout en finissant leur coupelle de saké. Sentant la tension monter, les geishas en pleine représentation changèrent le thème de leur musique et de leur danse pour quelque chose de plus doux.

— Ne pouvez-vous pas faire preuve d’un peu plus de respect Ă  l’Ă©gard des dames ici prĂ©sentes et cessez vos enfantillages, intervint le Maitre de l’Ă©cole du Dragon Divin.

Wang Work et Tan Zaemon réagirent de concert :

 » Ce soir, pas de leçon d’Ă©tiquette Mimuji Shoki, nous nous dĂ©tendons ! »

—Mais justement mes amis, justement. Puisque nous sommes ici pour nous dĂ©tendre pourquoi vous invectiver Ă  chaque occasion, dĂ©plora Le Maitre de l’Ă©cole du Dragon Divin.

La seule rĂ©ponse qu’eut le Maitre fut le silence. Pendants quelques instants, tous les convives se turent absorbĂ©s par la danse et la douce mĂ©lopĂ©e des dames de compagnie. A l’issu de la reprĂ©sentation des quatre geishas, Mihiko, l’Oiran qui prĂ©sidait les festivitĂ©s, posa sa coupelle de sakĂ© avec grâce et relança la discussion :

— Mes Seigneurs, pourrais-je vous demander à quoi occuperez-vous votre temps lorsque le pays goûtera enfin à la douceur de la sérénité ?

— La paix, Dame Mihiko, n’est qu’un moment de rĂ©pits entre deux conflits ; je continuerai donc Ă  perfectionner mon art du sabre et je demeurerai aux cĂ´tĂ©s de l’Empereur Akuchi tant qu’il aura besoin de mes services.

L’Oiran acquiesça aux propos de Wang Work puis posa un regard d’une douceur pĂ©nĂ©trante sur le Maitre de l’Ecole du PhĂ©nix pour l’inviter Ă  s’exprimer.

— J’Ĺ“uvrerai au dĂ©veloppement et Ă  la prospĂ©ritĂ© de mon Ă©cole. Le PhĂ©nix m’a fait don de bushi talentueux et assidus, après quelques annĂ©es supplĂ©mentaires d’entrainement je choisirais l’un d’entre eux pour assurer ma relève en mon absence ; je projette de voyager Ă  la recherche de reliques ancestrales du PhĂ©nix et de consacrer mes vieux jours Ă  la rĂ©daction de traitĂ©s sur l’Art de la Guerre.

Une nouvelle fois, Mihiko acquiesça. Sa jeune maiko lui resservi une coupelle de sakĂ© qu’elle porta lentement Ă  ses lèvres vermeilles. Après avoir dĂ©gustĂ© une gorgĂ©e du breuvage, et voyant que ses deux autres invitĂ©s gardaient le silence, elle reprit :

─ Et vous, Maitre de l’Ă©cole du Dragon Divin, avez-vous quelque projet ?

Mimuji Shoki affichait une mine pensive et suivait du regard les doigts d’une geisha courir sur son koto. Bien qu’il eut parfaitement entendu la question il Ă©tait absorbĂ© par ses propres rĂ©flexions. Finalement, il posa sa coupelle avec dĂ©licatesse Ă  cĂ´tĂ© de la bouteille de sakĂ©, dĂ©gluti discrètement et pris la parole :

─ VoilĂ  plus d’un siècle que les Terres du Milieu sont ravagĂ©es par les conflits. Le peuple souffre et endure dignement les affres causĂ©s par les luttes de pouvoirs entre belligĂ©rants. Moi-mĂŞme, depuis ma naissance je n’ai connu que la guerre et mĂŞme si aujourd’hui je suis un magistrat d’Emeraude, un maitre d’Ă©cole, un Ă©poux et un père j’ignore ce que signifie la quiĂ©tude d’un foyer. La guerre fait de nous des nomades, des dĂ©racinĂ©s elle nous rend Ă©tranger Ă  nos semblables, Ă  notre terre et Ă  nous mĂŞme. Nous nous battons pour quelque chose dont nous ignorons tout et si nous parvenons, comme je l’espère, Ă  rĂ©tablir l’Harmonie j’ignore si nous serons aptes Ă  vivre dans un monde en paix. Mes frères et moi sommes des combattants, qu’adviendra-t-il de nous lorsque la paix rĂ©gnera ? L’empereur prĂ©voit de nous rĂ©compenser d’un fief mais j’ignore tout de l’administration d’un fief.

Shoki s’interrompit. Bien que sa tirade ne semblait s’adresser Ă  personne sauf Ă  lui-mĂŞme ses paroles rĂ©sonnèrent dans tout leur ĂŞtre ; tous comprirent en cet instant que si la paix finissait par arriver il leur faudrait apprendre Ă  vivre autrement. Après un long silence, que les chants et les danses peinaient Ă  dissimuler Mimuji Shoki conclu :

─ Donc, pour rĂ©pondre Ă  votre question Dame Mihiko, je crois que lorsque j’aurai la conviction que la Paix sera vraiment installĂ©, je rangerai mes sabres. Je m’occuperai de ma famille, de mes terres et je me consacrerai Ă  la sculpture. Il y a dans mon dojo une effigie en bois de Fu Yi, sculptĂ© par un de mes prĂ©dĂ©cesseurs, je pense que j’arpenterai cette voie. La voie du sabre m’a permit de me connaitre moi-mĂŞme, la voie de la sculpture me permettra peut-ĂŞtre de me façonner une existence paisible.

Mihiko, qui avait Ă©coutĂ© avec attention le discours du MaĂ®tre, fut saisie par son humilitĂ©. Cela faisait plusieurs fois que les proches conseillers de l’Empereur lui faisaient l’honneur de lui rendre visite mais jamais elle n’aurait pensĂ© que l’un d’eux lui parlerait avec tant de sincĂ©ritĂ©. Elle prit cette confession pour une marque de confiance et voulu montrĂ© la rĂ©ciprocitĂ© du sentiment en poussant plus en profondeur la discussion :

─ MaĂ®tre Mimuji quelque chose m’Ă©chappe, je pensais que la guerre Ă©tait la finalitĂ© du bushido. Vous ĂŞtes un homme accompli et le crĂ©dit de votre charge de magistrat d’Emeraude en atteste. Pourtant, vous dĂ©plorez la guerre tout autant que vous redoutez la paix.

─ La finalitĂ© du bushido, Dame Mihiko, n’est pas la guerre mais l’Harmonie ; l’harmonie avec soi-mĂŞme, avec autrui et avec l’Univers. L’homme d’armes n’est en rien diffĂ©rent de la joueuse de koto. Vous savez certainement mieux que moi que l’Art du koto nĂ©cessite de focaliser son esprit et son corps dans le but d’organiser des sons de manière harmonieuse ?

─ C’est exact.

─ Et bien, il en va de mĂŞme pour le guerrier. Il se focalise sur le moment prĂ©sent sans songer Ă  la mort dans le but d’agir de la manière la plus juste, la plus harmonieuse.

─ Je comprends, Maitre Mimuji. Mais je ne saisi toujours pas pourquoi songer Ă  la paix est, pour vous, source de tracas. La paix est votre alliĂ©e dans le tumulte du combat pourquoi ne la serait-elle pas Ă  l’issu des conflits ?

─ La paix dont vous parlez, Dame Mihiko, n’est pas l’Harmonie. Elle y participe assurĂ©ment mais n’est qu’une Ă©manation de l’Harmonie. Les paroles de Wang Work m’ont remĂ©morĂ© une Ă©vidence : l’impermanence de toute chose. La destruction de nos ennemis mettra un terme dĂ©finitif aux conflits mais le Bushido n’est pas une voie de destruction, c’est une voie qui va par delĂ  la victoire et la dĂ©faite. La Guerre n’est qu’un symptĂ´me d’un dĂ©sĂ©quilibre, tant que l’Harmonie ne règnera pas dans tous les cĹ“urs du Aku, la paix ne sera qu’Ă©phĂ©mère.

Tout comme Mihiko, Wang Work et le Maitre du PhĂ©nix avaient bu les paroles de leur frère d’armes. Cependant, lorsque Shoki eut explicitĂ© toutes les consĂ©quences de la recherche de l’Harmonie Tan Zaemon sentit son sang bouillir. Machinalement, il serra son poing droit; ce qui n’Ă©chappa pas au Maitre du Dragon Divin. Contenant son impĂ©tuositĂ© Ă  grand effort, il prit une inspiration avant de demander d’un air contrit :

─ Ce degrĂ© de perfection dans la Voie n’est accessible que par des gens d’exception, Shoki. Souhaites-tu faire de cette populace de sots, de rustres et de faibles des illuminĂ©s ?

─ C’est ce que je souhaite, mon frère. Mais seul je n’en suis pas capable.

─ Tu ne pourras jamais Ă©lever celui qui se vautre avec complaisance dans la fange et le crime. Mais Ă  dĂ©faut de pouvoir les libĂ©rer de leurs vices tu pourras toujours libĂ©rer le monde de leur mĂ©prisable existence. Nous sommes frères d’armes mais je ne te suivrais pas dans cette Voie car elle est vaine.

Le MaĂ®tre du Dragon divin abaissa lentement ses paupières et acquiesça, rĂ©signĂ©. Quant Ă  Wang Work, il Ă©coutait distraitement tout en frottant son menton avec la tranche de son index. Puis, après qu’il ait plissĂ© les yeux, il brisa le silence de sa grosse voix rauque :

─ Ce qu’il y a de bien avec cette engeance, mes frères, c’est qu’elle a une fâcheuse propension Ă  s’autodĂ©truire aussi vite qu’elle se reproduit. Faisons notre chemin et laissons les faire le leur, avec un peu de chance nous n’aurons pas Ă  souffrir de leur rencontre.

De nouveau, Wang Work se laissa tomber dans l’amas moelleux de coussins et se saisi d’une pleine bouteille de sakĂ© pour la vider dans son gosier aussi vite qu’il s’en Ă©tait emparĂ©. Ainsi rĂ©chauffĂ© et grisĂ© par l’alcool il rajouta :

─ Après tout, je ne vois pas vraiment oĂą est le problème. Après avoir Ă©liminĂ© la menace extĂ©rieure on s’occupera de la menace intĂ©rieure. La solution est semblable Ă  nos sabres : simple, rapide et efficace.

Mihiko ne perdit pas un mot de la discussion entre les magistrats d’Émeraude. Elle Ă©tait Ă  la fois amusĂ©e et fascinĂ©e par leur comportement. Devant elle, se tenaient tour Ă  tour des hommes d’armes, des enfants, des frères et des MaĂ®tres : ils avaient tant Ă  lui apprendre…

 

La jeune fille se sentait en sĂ©curitĂ© en leur prĂ©sence, presque heureuse. Que pouvait-il lui arriver Ă  elle et aux Terres du Milieu si de tels hommes servaient l’Empereur ? Avec surprise elle constata qu’elle souriait. EspĂ©rant que cela soit passĂ© inaperçu, elle effaça de son visage cette manifestation de bonheur. VoilĂ  bien longtemps qu’elle n’avait pas souri de la sorte ; la vie ne l’avait pas Ă©pargnĂ©e depuis ces huit derniers mois. Lointaine nièce de feu Nobunaga Oda, elle avait vĂ©cu le siège du château de son oncle : les cris, les flammes, la fumĂ©e et la vison des cadavres hantaient encore ses nuits. Il lui arrivait parfois de se rĂ©veiller trempĂ©e de sueur et dans un Ă©tat de panique intense. Tous les hommes de sa famille qui ne s’Ă©taient pas ralliĂ©s Ă  Mitsuhide Akuchi avaient Ă©tĂ© froidement exĂ©cutĂ©s ; quant Ă  elle, vendue Ă  une maison verte, la fortune de sa famille lui avait Ă©tĂ© confisquĂ©e et on ne lui avait laissĂ© qu’une infime partie des kimonos somptueux qu’elle possĂ©dait.

Par chance, elle Ă©tait pour le moment restĂ©e intacte. L’Okiya semblait vouloir prĂ©server son mizuage pour un protecteur de marque ; protecteur par le biais duquel son Ă©tablissement pourrait jouir d’un prestige certain. Tandis que Mihiko apprenait Ă  accepter sa nouvelle condition, on lui annonça que des hĂ´tes prestigieux sollicitaient une entrevue. La première fois que les magistrats d’Émeraude vinrent lui rendre visite, elle avait ressenti de l’excitation mais aussi de la peur : elle Ă©tait honorĂ©e que des hommes de noble extraction lui tĂ©moignent de l’intĂ©rĂŞt mais dans le mĂŞme temps elle craignait de les dĂ©cevoir. Que se passerait-il si elle commettait une erreur ? Cesseraient-ils leur visites ? Que lui dirait l’Okiya ?

Chaque nouvelle missive portant le cachet du grand intendant du Palais ImpĂ©rial signifiait pour elle et pour sa nouvelle maison la mise en branle de moyens princiers : l’Okiya mettait tout en Ĺ“uvre pour que les mets les plus savoureux et le meilleur sakĂ© leur soit servi ; tout comme elle choisissait les meilleures musiciennes de l’Ă©tablissement pour leur garantir un divertissement satisfaisant.

Depuis la dĂ©chĂ©ance de sa famille, ces soirĂ©es Ă©taient les seuls moments oĂą elle se sentait elle-mĂŞme, oĂą elle Ă©tait insouciante, oĂą elle rĂŞvait de nouveau au mariage. Si seulement, un homme comme l’un d’eux pouvait la dĂ©livrer de son marasme et lui faire retrouver les conditions de vie qui furent auparavant les siennes et qu’elle estimait mĂ©riter…

Alors que la tension entre les convives Ă©tait retombĂ©e et que les magistrats d’Émeraude semblaient profiter du spectacle des geishas, Mihiko fut interrompue dans ses rĂŞveries par le regard froid et insistant de l’inconnu qui accompagnait ses invitĂ©s. Elle ignorait son nom, ses liens avec les magistrats d’Émeraude et la raison de sa prĂ©sence ici. Il Ă©tait restĂ© silencieux durant toute la soirĂ©e et elle constata avec Ă©tonnement qu’il n’avait pas mĂŞme touchĂ© la coupelle de sakĂ© posĂ©e devant lui. Quand elle le regarda en souriant, il cligna lentement des paupières et lui rendit sobrement son sourire. S’inquiĂ©tant, de ce qu’il pensait des festivitĂ©s elle entreprit d’engager la conversation :

─ Mon Seigneur, la boisson vous convient-elle ? Vous n’en avez pas bu une goutte.

Les magistrats d’Émeraude notèrent le prĂ©misse d’Ă©change tandis que l’inconnu marquait un temps avant de rĂ©pondre :

─ Je n’ai pas une bonne rĂ©sistance Ă  l’alcool.

La rĂ©ponse de l’inconnu fit hurler de rire Wang Work qui regarda Mihiko :

─ Ne faites pas attention Ă  lui, Dame Mihiko, c’est un lâche !

─ Un menteur et un fourbe, s’empressa de rajouter Tan Zaemon en finissant d’une traite sa coupelle de sakĂ©.

Pendant un instant Mihiko ne sut comment rĂ©agir. La toilette de l’inconnu et sa prestance ne laissaient pas penser qu’il fut un homme de basse condition mais dans le mĂŞme temps la dĂ©sinvolture et la raillerie dont faisaient preuve Wang Work et Tan Zaemon induisaient qu’ils se connaissaient bien ; suffisamment bien pour que l’inconnu ne se sentent pas offensĂ© par leurs propos. Le Maitre Mimuji leva bientĂ´t le voile sur l’identitĂ© du mystĂ©rieux inconnu :

─ C’est cela et bien plus encore mes Frères, c’est un Zhuge, conclu Mimuji d’un ton entendu et plein de malice.

─ Un Zhuge, laissa échapper Mihiko.

Le ton de ses paroles avait devancĂ© sa pensĂ©e. Mihiko prit conscience de l’erreur d’Ă©tiquette qu’elle venait de commettre : il Ă©tait très inconvenant de laisser transparaĂ®tre sa consternation. Elle baissa les yeux et se tut. Alors qu’elle levait discrètement les yeux en direction du Zhuge pour guetter sa rĂ©action, elle constata avec surprise que ce dernier avait comme anticipĂ© son mouvement et la contemplait, circonspect. Un lĂ©ger sourire se forma sur ses lèvres et il dĂ©clina enfin son identitĂ© en s’inclinant respectueusement :

─ Je m’appelle Zhuge Yoshitaka, Premier Ministre du Shu et Fils du VĂ©nĂ©rable Zhuge Liang, Dame Mihiko, c’est un honneur de partager ce moment en votre compagnie.

A son tour Mihiko s’inclina en priant pour que son erreur ne lui cause aucun tort. Pourquoi ne s’Ă©tait-il pas prĂ©sentĂ© ? Pourquoi la fixait-il avec tant d’assiduitĂ© ? Que faisait le premier ministre d’une force rivale du Aku — qui ne reconnaissait pas Mitsuhide Akuchi comme Empereur — auprès des plus fidèles serviteurs de ce dernier ? Mihiko but une nouvelle gorgĂ©e de sakĂ© en rĂ©flĂ©chissant aux raisons et implications de la prĂ©sence de ce personnage dans ses appartements. « Je suis si sotte » songea-t-elle ; Moi, qui pensait qu’ils me manifestaient de l’intĂ©rĂŞt il ne sont lĂ  que pour des jeux politiques… une idĂ©e surgit dans l’esprit de Mihiko : « Peut-ĂŞtre sont-ils venus ici pour ourdir un complot contre l’Empereur ? » SclĂ©rosĂ©e par l’effroi, son corps ne lui rĂ©pondit plus et la coupelle de sakĂ© qu’elle portait Ă  sa bouche lui Ă©chappa et chut sur le sol.

─ Vous allez bien Dame Mihiko ? s’enquit le Maitre du Dragon Divin.

La jeune maĂŻko au service de Mihiko se pressa en direction de sa maitresse.

─ Pardonnez-moi mes seigneurs, je suis d’une incorrigible maladresse sous l’effet de l’alcool, bredouilla l’Oiran pour tenter de ne pas perdre la face.

Alors que la maĂŻko se hâtait de ramasser les dĂ©bris qui jonchaient le parquet luisant devant sa maĂ®tresse, Mihiko entreprit de l’aider Ă  rassembler les Ă©clats. L’un d’entre eux, plus tranchant que les autres, entailla son doigt profondĂ©ment et lui arracha une grimace. Instinctivement, Mihiko compressa son index au dessus de la blessure tandis qu’une grosse goutte de sang perlait Ă  son extrĂ©mitĂ©. Lorsque plusieurs perles Ă©carlates touchèrent le sol elle manqua de dĂ©faillir.

─ Maîtresse, chuchota la maiko qui avait cessé son nettoyage pour la soutenir.

Zhuge Yoshitaka, qui se situait près d’elle, se leva, mit dĂ©licatement sa main dans la sienne et plongea l’autre dans la manche de sa propre tunique.

« Regardez-moi, Dame Mihiko. »

Ces mots prononcĂ©s d’une façon Ă©trangement mĂ©lodieuse, apaisèrent instantanĂ©ment Mihiko sans qu’elle ne sache pourquoi. Elle obĂ©it, et ne put s’empĂŞcher de plonger son regard dans les yeux Ă©meraude du fils de Zhuge Liang.

─ Ceci est un onguent de ma composition capable de guĂ©rir les blessures lĂ©gères très rapidement. Dans quelques minutes, vous n’y penserez mĂŞme plus.

Yoshitaka retira la main de sa manche, son index Ă©tait surmontĂ© d’une petite noisette de pâte verte odorante qu’il appliqua prĂ©cautionneusement sur la blessure de la jeune fille. Une douce chaleur envahit bientĂ´t la main puis le bras de Mihiko et lorsque Yoshitaka eut fini de oindre l’extrĂ©mitĂ© de la phalange, Mihiko put dĂ©tacher son attention des yeux du Zhuge et constata que plus aucune trace de blessure n’apparaissait.

L’Oiran semblait ĂŞtre la seule Ă  s’Ă©tonner de ce qui venait de se passer. Les trois magistrats d’Emeraude profitaient du spectacle pendant que Yoshitaka reprenait paisiblement sa place. MĂŞme sa servante semblait s’ĂŞtre dĂ©sintĂ©ressĂ© de ce que fut sa blessure. Profitant des applaudissements sonores de Tan Zaemon et de Wang Work, Shoki s’avança lĂ©gèrement vers Mihiko et lui dit Ă  voix basse :

─ Yoshitaka est issu d’une lignĂ©e de mystiques. Ce qu’il fait ou dit nous Ă©chappe parfois mais c’est quelqu’un de bonne compagnie quand il est vraiment lĂ .

─ Quand il est vraiment là ? Que voulez-vous dire Maître Mimuji ?

─ Disons que parfois son corps n’est plus tout Ă  fait la demeure de son esprit, expliqua Shoki en se rasseyant.

Mihiko Ă©tait de plus en plus perplexe. Quelque chose qu’elle n’arrivait pas Ă  dĂ©finir lui Ă©chappait ; bien qu’elle fut dans ses appartements, elle ne se sentait pas Ă  sa place. A la douce euphorie qu’avait suscitĂ© la venue des magistrats d’Ă©meraude succĂ©dait maintenant une insidieuse suspicion : que faisaient ces hauts dignitaires du pays dans une maison des plaisirs? Elle avait pensĂ© jusqu’Ă  prĂ©sent qu’ils venaient chercher la douceur de la compagnie des femmes, une sorte d’interlude dans leur quotidien violent mais dĂ©sormais elle n’en n’Ă©tait plus très sĂ»re. Une fois de plus, elle sentit l’attention du premier ministre du Shu posĂ©e sur elle. Quelque chose chez cet homme la mettait mal-Ă -l’aise. Elle se sentait Ă©valuĂ©e, jaugĂ©e ; durant tout le dĂ©but de la soirĂ©e elle n’avait mĂŞme pas prĂŞtĂ© attention Ă  sa prĂ©sence mais maintenant il lui semblait qu’il n’y avait plus que Lui dans la pièce.

Enfin, le fils de Zhuge Liang daigna dĂ©gustĂ© une gorgĂ©e du sakĂ©. Il la savoura en silence et les yeux fermĂ© puis, une fois la coupelle reposĂ©e, il s’adressa Ă  Mihiko :

─ Dame Mihiko, vous ne nous avez pas fait part de vos projets d’avenir, quelle genre de vie souhaiteriez-vous lorsque Wang Work aura pacifiĂ© les Terres du Milieux ?

Lorsque Mimuji Shoki entendit la question de son frère d’armes, il contempla avec apprĂ©hension Mihiko puis posa un regard rĂ©probateur sur Yoshitaka :

─ Yoshitaka…

Face Ă  la question du Premier Ministre la jeune fille se sentie dĂ©semparĂ©e. Elle prit la mesure de l’impact que sa nouvelle vie avait eu sur elle ; des mois durant on l’avait formĂ© Ă  ne prendre en compte que les dĂ©sirs de ses futurs clients, Ă  discourir, Ă  calligraphier, Ă  jouer du shamisen. Son ascendance lui avait assurĂ© un statut privilĂ©giĂ© ; on la dispensait des tâches domestiques ingrate pour prĂ©server sa fraĂ®cheur et sa beautĂ©. L’Ă©ducation qu’elle avait reçu au château d’Azuchi lui avait permise d’ĂŞtre Ă©levĂ©e au rang d’Oiran provoquant des jalousies parmi ses « sĹ“urs ». Ses journĂ©es Ă©tĂ© rĂ©glĂ©es comme du papier Ă  musique et toute son attention Ă©tĂ© portĂ© sur son apprentissage. Sa survie dĂ©pendait des bonnes grâces de l’Okiya et surtout de l’intĂ©rĂŞt que lui portaient ses seuls clients. Rien de ce qu’elle faisait n’Ă©tait entreprit pour son propre plaisir mais seulement pour l’intĂ©rĂŞt d’autres personnes. Elle ne s’appartenait pas, la seule emprise qu’elle avait sur son avenir dĂ©pendait de sa capacitĂ© Ă  satisfaire d’autres individus qu’elle-mĂŞme… et cet homme le savait. Un sentiment de vide d’une profondeur insondable l’envahit puis la colère lui succĂ©da. Tout Premier ministre qu’il Ă©tait, comment pouvait-il avoir l’ignominieuse cruautĂ© de lui poser cette question ? Il savait quel serait son avenir, il savait ce que furent et seraient ses conditions de vie, il savait qu’elle n’avait aucun pouvoir de dĂ©cision sur elle-mĂŞme. La seule chose qui Ă©tait en son pouvoir Ă©tait d’endurer. Est-ce lĂ  son but en posant cette question ? L’avait-il soignĂ© pour après lui faire endurer cette humiliante prise de conscience ? Mihiko sentit les larmes lui monter aux yeux et dans un Ă©lan d’orgueil elle se força Ă  les retenir. Elle ne craquerait pas, elle l’endurait lui comme elle endurait sa condition.

─ Je l’ignore, mon seigneur, ce qu’il adviendra de ma personne ne dĂ©pend pas de moi.

 

 

Kiba : substituer le jugement Ă  l’empathie

 

 

D’aucuns diraient que la Vie est un combat au cĹ“ur duquel se trouve la VĂ©ritĂ©. La multiplicitĂ© des conceptions du monde a toujours gĂ©nĂ©rĂ© des conflits d’intĂ©rĂŞts meurtriers et il est de notoriĂ©tĂ© publique que ce sont les vainqueurs de ces conflits qui imposent leur vĂ©ritĂ©.

 

Les vaincus n’ont pas d’autres alternatives que de se soumettre ou de mourir mais qu’en est-il des idĂ©es qui ont poussĂ©s des ĂŞtres Ă  s’affronter ? A la manière des ĂŞtres vivants, les idĂ©es peuvent-elles mourir, peuvent-elles ĂŞtre soumises ? La VĂ©ritĂ© est-elle toujours du cĂ´tĂ© du vainqueur ?

La victoire est-elle un jugement du vainqueur sur le vaincu ou le jugement de la Vie sur des idĂ©es erronĂ©es ? Comment rĂ©soudre un conflit ? Par le fil de l’Ă©pĂ©e du Jugement ou par la douceur de l’empathie ?Si ce sont les idĂ©es Ă  l’Ĺ“uvre dans les âmes des ĂŞtres vivants qui les poussent Ă  s’affronter pourquoi Ă´ter la vie Ă  ces ĂŞtres ? Ne serait-il pas prĂ©fĂ©rable d’entendre les idĂ©ologies qui les poussent Ă  agir et de les Ă©duquer en ayant le RĂ©el pour seul MaĂ®tre ?

Dans la quiĂ©tude d’un vallon oĂą serpente une rivière, un jeune sauvageon adossĂ© Ă  un arbre somnole. Les vestiges d’Ă©toffes grossières qui recouvrent son corps laissent entrevoir une peau de bronze parsemĂ©e d’anciennes meurtrissures. Sa respiration profonde couvre Ă  peine le doux borĂ©e qui agite les feuillages.

Sur les coteaux, un soudain frĂ©missement venu du Nord parcourt la vĂ©gĂ©tation sĂ©culaire stoppant net le dodelinement insouciant de la tĂŞte du jeune homme. Il Ă´te son couvre-chef de paille, scrute le ciel un instant en direction du Nord puis ramasse le morceau de bois taillĂ© qui repose près de sa couche improvisĂ©e. Après de rapides Ă©tirements, et un bâillement dont l’Ă©cho se fait entendre dans toute la ravine, il se dirige vers le cours d’eau pour s’y dĂ©saltĂ©rer .

Ă€ une dizaine de mètres de l’onde, derrière un mur d’immenses fougères, se tapit un loup gĂ©ant au pelage gris ; l’animal contemple sa proie sans bouger depuis plus d’une minute, ses beaux yeux jaunes suivent chaque mouvement de son futur dĂ©jeuner. Il observe patiemment le jeune homme qui lui tourne le dos et ne semble pas l’avoir remarquĂ©… une fraction de seconde plus tard le loup fond sur le sauvageon tous crocs dehors. Le claquement sec de la mâchoire du loup retentit tandis que son hypothĂ©tique repas a dĂ©jĂ  bondi sur le cĂ´tĂ© pour esquiver l’attaque.

Les pieds dans l’eau, les genoux Ă  demi-pliĂ©s et le bout de bois dans sa main droite, le sauvageon observe attentivement le canidĂ© sur la berge. Leurs yeux se croisent, puis leurs regards se font moins intenses, lentement leurs postures respectives se dĂ©tendent ; LĂ , dans l’intimitĂ© de leurs esprits un Ă©change commence entre les deux ĂŞtres. Un dialogue inaudible et mystĂ©rieux venu du fond des âges— le murmure des esprits— vestige d’une Ă©poque oĂą l’Homme et la BĂŞte arpentaient la terre en Ă©gaux face Ă  la puissance de Mère Nature.

L’indicible conversation est faite d’images, de sons et d’Ă©motions. Il est question d’un appel, du grand chĂŞne, d’un visiteur et d’une menace dont la simple Ă©vocation trouble l’Ă©change psychique du loup et du sauvageon.

 » Rejoignons le Grand Trent, Frère », avec agilitĂ© le sauvage se hisse sur l’improbable monture gĂ©ante et ces derniers, en quelques bonds, s’enfoncent dans la forĂŞt Ă  vive allure. Le poing solidement refermĂ© sur une touffe de poils, le jeune homme voit dĂ©filer la vĂ©gĂ©tation de cette forĂŞt qu’il a appris Ă  connaitre depuis tant d’annĂ©es. Combien d’hivers se sont Ă©coulĂ©s depuis son arrivĂ©e sur l’Ă®le ? Depuis combien de temps n’a-t-il plus vu son père qui lui a transmis le langage des hommes, l’art du combat au sabre et un nom : Kiba Miyamoto.

Avec un certain effort, il tente de retrouver les traits du visage de celui qui lui a donnĂ© la vie, la voix de cette image paternelle qui lui a transmis le peu de connaissances qu’il possède sur ses semblables humains. Ce qu’il ne peut oublier est l’odeur de son père, mĂ©lange subtil de sa propre odeur mĂŞlĂ©e Ă  des senteurs qui viennent d’au-delĂ  de la mer : l’odeur du monde des hommes. Ces rĂ©miniscences olfactives le ramènent dans le passĂ©, le temps oĂą tout n’Ă©tait que dĂ©couverte et Ă©merveillement ; le temps oĂą, au creux des racines du Grand Trent son père lui narrait l’histoire de ses aĂŻeux. Le père de son père, Musashi, Ă©tait un chevalier de GaĂŻa de la meute de Fenrir —l’ombrageux Père Loup qui arpentait jadis le continent oriental des Hommes— Bien qu’il fut humain, Musashi n’avait pas perdu le lien qui l’unissait Ă  GaĂŻa et combattait aux cĂ´tĂ©s de seigneurs de guerre contre un curieux humain —Cao Cao— qui revendiquait la propriĂ©tĂ© absolue du continent oriental. Ce dĂ©tail avait intriguĂ© le jeune enfant qu’il Ă©tait et il s’Ă©tait empressĂ© de demander comment une crĂ©ature mortelle aussi insignifiante qu’un humain pouvait prĂ©tendre dĂ©tenir une partie de GaĂŻa ? Les humains, enfants de GaĂŻa dotĂ©s d’intelligence, semblaient ne pas comprendre, ou ne pas vouloir comprendre, que leur Mère Ă  tous n’Ă©tait la propriĂ©tĂ© de personne. Ainsi, son père lui avait rĂ©pondu que les humains passaient leur temps Ă  s’entretuer pour une chimère qu’ils avaient eux-mĂŞmes appelĂ© Pouvoir. Aujourd’hui encore le sens de ce mot lui Ă©chappe — curieux langage que celui des hommes. Bien que leur parler soit censĂ© leur permettre d’apprĂ©hender la rĂ©alitĂ© et de communiquer entre eux il est empli d’idĂ©es et de mots qui ne reflètent en rien la vĂ©ritable nature du monde. Lorsque Kiba fut plus âgĂ©, son Père et l’Esprit des arbres —Le Grand Trent— lui avaient expliquĂ© que, coupĂ©s de GaĂŻa, les humains n’Ă©taient plus capables de percevoir le monde avec une parfaite acuitĂ©. Cette cĂ©citĂ© partielle avait engendrĂ© dans leurs esprits une comprĂ©hension limitĂ© de leur environnement ; ils ne faisaient plus vraiment parti de GaĂŻa et dĂ©sormais leur horizon se confinait Ă  leur propre existence, Ă  ce que les Hommes dĂ©nommaient Culture.

Soudainement, le loup stoppe net sa course effrĂ©nĂ©e sortant Kiba de ses rĂŞveries. Au centre de la clairière, virevolte un Ă©trange papillon couleur amĂ©thyste bientĂ´t rejoint dans son ballet par une myriade de congĂ©nères. Leur progression est lente, le battement de leurs ailes parait irrĂ©el comme s’ils Ă©voluaient non dans de l’air mais dans un liquide sirupeux.

 

46 Comments on “Songes du Pays de Wa

  1. informatii interesante si utile postate pe blogul dumneavoastra. dar ca si o paranteza , ce parere aveti de inchirierea apartamente vacanta ?.

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