» La fiancée du vent  » pièce surréaliste

Bonsoir Patrick 🙂
P.R : Bonsoir
Je travaille en ce moment sur Histoire de Max Ernst et Leonora Carrington, et de fil en aiguille je suis tombée sur vous 😊 exposez-vous vos oeuvres prochainement ?
Patrick Rakotoasitera : En novembre à Paris dans une petite galerie normalement. Ou en septembre.
Vous écrivez sur Max Ernst ?
Non je suis comédienne et je joue Leonora Carrington qui a été la compagne de Max Ernst pendant 3 ans, dans une pièce qui s’appelle la fiancée du vent
Le récit de leur passion amoureuse et de leur séparation à cause de la Seconde Guerre mondiale, puis de l’internement de Leonora en hôpital psychiatrique à Madrid
P.R : Ah je ne connaissais pas leur histoire. Je vous avoue que le travail de Max Ernst me parle modérément. Et j’ignorais que Leonora avait été internee
Confidence pour confidence, le travail artistique de Leonora me parle plus que celui de Max 😉
Elle raconte son internement dans le livre «en bas», il a duré quelques mois
P.R : Vous avez réussi à intégrer des élément probant de sa personnalité. (je lirai le livre)
Certains éléments de sa personnalité sont plutôt proche de la mienne, mais certains autres, notamment les délires mystiques ou les brusques changements d’humeur sont moins évidents pour qui ne les a pas expérimenté dans son corps… mais nous sommes encore en phase de travail 😉
P.R : Ah elle a été considérée bipolaire même si le terme est appliqué depuis quelques dizaines d’annee
Ah tiens! À la lecture de son récit je la voyais plutôt psychotique, car elle avait de vrais et puissants délires mystiques
Il y a de beaux passages dans «en bas» où elle raconte comment elle comprend et réarrange l’univers et le cosmos avec ses produits cosmétiques
P.R : Les bipolaires sont des psychotique. Mais au regard de ce que vous avancez elle serait peut être plus considérée comme schizophrène. Délire mystique, remplacement de la réalité par un sentiment de toute puissance, comme la croyance en des pouvoirs supposés en sont le lot
Oui absolument c’est tout à fait ça! Elle parle aux humains et aux animaux par vibrations, se voit comme la libératrice du monde asservi par le mal (nazi en l’occurence), sent une telle puissance en elle qu’elle peut détruire le monde entier par un seul regard
Et de même, un regard peut la détruire
Le Cardiazol n’est peut-être pas étranger à ces sensations, il a été interdit
Depuis
P.R : Schizophrène donc. Votre interprétation doit en être d’autant plus forte. Je veux dire que vous avez la l’occasion de restituer la force du délire, la puissance qui devait émaner d’elle. En état de toute puissance vous êtes doté de la certitude et de l’assurance que la prise de cocaïne provoque chez certain. Mais la vibration que vous ressentez vous emporte aussi bien. Un instant, une pensée suffisent pour ravager votre bonne humeur et vous plonger dans un malheur dont aucun autre être humain ne peut imaginer le retentissement sur vous. Et surtout une telle énergie peut vous faire faire presque n’importe quoi
Merci pour cette description qui m’est très utile!!! je connais la sensation de la cocaïne, je vais donc creuser dans cette direction pour essayer de trouver les sensations corporelles et les émotions qui s’y rapportent
P.R : Il faut aussi que vous sachiez pleurer et imiter les stigmates de la terreur ressentie quand vous étiez entrain de rire avant. On peut même être ebêté ou rester interdit de long instant, tant vos émotions, vos pensées sont fulgurantes. Au point de vous confronter avec une dimension existancielle ultime. Après vous être congratulee intérieurement d’avoir une appréciation si inouïe de l’humanité, le délire correspondant à des disgretion et des glissement de sens abusif, comme des corrélations, des inductions et déductions erronées , vous désirez vous confronter à l’ultime vérité. De la un basculement mystique peut opérer qui tient à la superbe de vos pensées, et à la personne exceptionnelle que vous devez être pour en être à l’origine. Il n’y a plus qu’un seul glissement interprétatif à réaliser. La reconnaissance de votre singularité par Dieu. Le sentiment est totalement envahissant alors, en vous combattent toutes les raisons de votre imposture avec la réalité de la jouissance que procure la certitude d’être un élu de Dieu. Il ne vous reste plus qu’à déterminer votre mission
« tous ici savent que je suis le Saint-Esprit incarné dans l’ange du bien. Ma mission est de soumettre Van Ghent et de sauver Madrid. Une fois Madrid guérie j’irai voir Franco et je lui expliquerai tout.» ( extrait de la pièce)
Aimeriez-vous venir voir une répétition lors de la prochaine résidence et éventuellement me conseiller sur l’interprétation ? En tout cas les quelques mots que vous avez déjà écrits vont être très précieux pour moi, car ils me permettent d’avoir une vision plus concrète de données forcément un peu abstraites
P.R : Quand je pense ou dis de telle choses mes proches me disent que mon visage habituellement plutôt agréable à regarder est totalement transformé au point que mes proche y voient une autre personne…
P.R : Oui avec plaisir
Votre regard ou l’ensemble de votre visage ?
Oh super!! Ça serait vraiment génial d’avoir vos conseils!!
P.R : Ma tante bien sur insiste  le  regard mais d’après elle tout le visage est modifie
Peut être est ce du à l’afflût sanguin
D’autant que vous êtes peintre contrairement à nous, vous avez donc une expérience de la matière graphique que nous n’avons pas, ce n’est pas les cours d’arts plastiques que j’ai pris à Boulogne cette année qui ont pu vraiment me donner ce toucher 😉
P.R : Merci
Peut-être mais dans ce cas le visage serais simplement congestionné et rouge, il doit y avoir aussi des expressions autres, des muscles qui bougent différemment peut-être
P.R : Certainement
Super si ça vous dit, je serais vraiment très heureuse que vous puissiez venir voir le travail et me dire ce que vous en pensez!! La prochaine résidence est en avril, il y a encore le temps
P.R : Ce qui est étonnant est la diversité de la palette de sentiment ressentis
Ok
Est-ce qu’il y a des sentiments qui vous sont totalement étranger en temps normal, où ces sentiments sont-ils connus mais largement amplifiés ?
P.R : Plutôt connus de par la répétition des crises, mais leur ampleur est toujours incroyablement déconcertante. Je ne m’énerve jamais, pourtant un évènement politique tragique aura la capacité de me plonger dans un sentiment d’injustice, puis une colère, une rage qui surprend indéniablement tant par sa brutalité que son intensité
Et est-ce que l’expression de ces sentiments est proportionnelle à leur intensité? Par exemple, plus vous êtes en rage intérieurement, plus vous allez défouler votre colère sur quelqu’un ou quelque chose, ou alors vous pouvez être ravagé par un sentiment extrêmement fort à l’intérieur et votre corps restera assez calme ou prostré ?( vous me dites si je vous embête avec mes questions surtout, je ne voudrais pas être intrusive!!!)
P.R : Je crois et ce point de vue manichéen n’engage que moi, que si j’avais un mauvais fond je serais agressif envers autrui, mais ce n’est pas cela.
Oui ça paraît logique!
Donc l’expression à l’extérieur n’est pas forcément proportionnelle à ce que vous pouvez ressentir à l’intérieur
P.R : Mon sentiment est politique, il me faut absolument répondre à l’injustice au risque de ne pouvoir vivre normalement. Je crois que Leonora je ne la connais pas du tout pourtant, était pareille
Dans ce que j’ai pu lire d’elle ou sur elle, l’injustice n’avait pas l’air d’être son moteur premier
La question de la liberté semblait plus centrale
Bien sûr on peut trouver des corrélations
P.R : D’accord, toutes atteinte aux liberté fondamentale est insupportable pour elle ? J’aurais été sur la même onde si je l’avais rencontre
Vous l’interprètez  comme une hystérique parfois ou pas ?
Oui absolument! C’est d’abord son corps qui se coince et se confond avec les freins de la voiture dans laquelle elle se trouve, qui se coincent également. D’après elle c’est la première fois qu’elle confond son corps et l’extérieur, qu’il n’y a plus de limite entre elle et le reste. Puis tout se met à tourner autour de la lutte entre le bien et le mal, les juifs et les non-juifs, les bons et les mauvais, ceux qui souffrent et ceux qui asservissent
Non jamais comme une hystérique, plutôt comme une ultra émotive dont les émotions et les rythmes changent, parfois brusquement
P.R : C’est bien, il ne faut surtout pas laisser songer cela
Oui tout à fait! J’ai regardé quelques reportages, et je n’ai vu aucune hystérie chez ceux qu’on interne en HP. La plupart avaient même un discours et un comportement très cohérent selon leur vision du monde, et c’est principalement cette vision qui les différencie des gens «normaux», pas leur discours ou leur comportement
P.R : Qd à son sentiment de decorporation un état yoguique particulier peut l’engendrer, de la a adopter un point de vue philosophique universel avec soi pour possible perspective est comprehensible quand on ne sait pas que sortir de son corps est possible
L’occasion peut-être pour moi de relire ce livre (sur les voyages hors du corps )que je n’ai jamais vraiment mis en pratique…
Mon parcours : Quand j’étais enfant, durant les grandes vacances, j’assistais à des représentations de théâtre dans le petit village de mes grands-parents : « La Famille Magnifique » venait jouer sur des tréteaux sur les places des marchés, et j’étais fascinée par leurs histoires, c’était un plaisir intense de les voir jouer et j’attendais les représentations avec beaucoup d’exaltation! C’était mon rendez-vous de l’été. J’ai commencé à prendre des cours de théâtre, et c’est vite devenu ma passion! Je voulais devenir comédienne, mais mes parents, inquiets pour mon avenir, m’ont conseillé de faire des études. En fille obéissante j’ai donc fait une licence de lettres et un master d’édition, puis j’ai commencé à travailler dans l’édition de bande-dessinées. Il ne m’a pas fallu deux ans pour me rendre compte que je ne supportais pas de travailler dans un bureau! Je sentais que j’étais faite pour autre chose. Je suis donc devenue musicienne car j’avais une formation de violoncelliste. Je me sentais mieux, mais là encore il me manquait quelque chose, je savais que l’ennui viendrait un jour ou l’autre, et je ne pouvais pas m’imaginer « faire cela toute ma vie ». J’ai donc repris des cours de théâtre pour me professionnaliser, et ça a été une évidence : ce métier ne m’ennuierait jamais, il était une passion profonde et c’est là qu’était ma place! Après avoir pris des cours j’ai commencé à travailler et je suis maintenant comédienne, au théâtre et en voix principalement. Chaque projet est une source sans fin d’apprentissage, de découverte et d’émotions intenses! Et même si cette vie d’artiste est précaire et parfois angoissante, je ne changerais pour rien au monde, tant ce métier me passionne!  
 
Comment je perçois Leonora Carrington : Leonora est une toute jeune femme de 22 ans lorsqu’elle rencontre Max Ernst. Elle a déjà admiré ses oeuvres, et Max devient vite son amant, son amour, et son mentor artistique. Leonora a un caractère passionné, très entier ; pour elle la tiédeur n’existe pas, elle adore ou elle déteste, et c’est une anti-conformiste née. Sa relation avec Max Ernst lui permet de s’épanouir, à la fois en tant que femme et en tant qu’artiste. Mais la deuxième guerre mondiale va les séparer après trois années de bonheur…
Lorsque Max est fait prisonnier pour la seconde fois au Camp des Milles, Leonora bascule dans un délire schizophrène. Elle raconte son délire et son internement en hôpital psychiatrique dans le livre « En Bas », que je me suis procuré. Ce qui m’est apparu tout d’abord, c’est la violence de ses émotions, et la teneur mystique de ses « délires ». J’emploie les guillemets volontairement, car la folie est toujours définie par rapport à une norme, à ce que le plus grand nombre tient pour normal et sain. Quelle différence entre un medium par exemple, qui entendra et verra des choses invisibles aux yeux de la plupart des gens, et un schizophrène? Pourquoi certains ont-ils un « don de clairvoyance » quand d’autres sont rangés dans la catégorie des fous? Tout cela est très relatif en fonction des époques et des cultures…
La teneur mystique de ses délires montre que Leonora tente de mettre de l’ordre dans un monde qui n’en a plus : son unique amour a été fait prisonnier, la guerre éclate et les nazis progressent, elle est poussée par une amie à fuir la France… Ses divagations sont finalement une protection contre le chaos ambiant, et l’investissent d’un pouvoir et d’un contrôle absolu sur les gens, les animaux, les événements politiques, qu’elle n’a évidemment pas dans la réalité. C’est tout à fait cohérent vu de l’intérieur : c’est une jeune artiste surréaliste, qui travaille beaucoup avec son inconscient pour élaborer ses oeuvres, et dont le psychisme trouve là le moyen de s’échapper d’une réalité insupportable.
Le personnage que j’interprète est donc une jeune femme extrêmement émotive et réactive, aux sentiments violents et parfois contradictoires. Elle peut être perçue comme « folle » par le spectateur car elle s’éloigne de plus en plus de la norme des comportements acceptables socialement, et tient des discours qui peuvent sembler décousus ou violents – et pourtant ils sont bien moins fantaisistes qu’ils n’y paraissent! Elle est dans une sorte de fièvre permanente, voit et entend des choses invisibles, mais son parcours, de la maison de Max à Saint Martin d’Ardèche à l’hôpital psychiatrique de Madrid, constitue paradoxalement une forme de délivrance et d’accomplissement pour elle. A l’issue de son internement elle sera « délivrée » de ses délires, certes, mais elle aura surtout acquis une autonomie, une indépendance, une force intérieure qui lui faisaient défaut avant cette expérience, et qui lui permettront de devenir une femme et une artiste complète, n’ayant plus besoin d’une figure tutélaire pour exister. Je suis persuadée (mais cela n’engage que moi) que cette expérience extrêmement violente lui aura été indispensable pour devenir la grande artiste qu’elle a été par la suite, en lui permettant de se connecter aux forces obscures de son âme, et de se « délivrer » (c’est elle qui emploie ce mot) de l’emprise de Max Ernst.
Nous jouerons cette pièce du 20 mai au 1er juin au théâtre de l’Epée de Bois / Cartoucherie de Vincennes, tous les soirs à 20h30 sauf le lundi. Représentation supplémentaire les samedis à 16h

 

LA FIANCÉE DU VENT from Le Temps Présent on Vimeo.

 

LA FIANCÉE DU VENT

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