Mon parcours : Quand j’étais enfant, durant les grandes vacances, j’assistais à des représentations de théâtre dans le petit village de mes grands-parents : « La Famille Magnifique » venait jouer sur des tréteaux sur les places des marchés, et j’étais fascinée par leurs histoires, c’était un plaisir intense de les voir jouer et j’attendais les représentations avec beaucoup d’exaltation! C’était mon rendez-vous de l’été. J’ai commencé à prendre des cours de théâtre, et c’est vite devenu ma passion! Je voulais devenir comédienne, mais mes parents, inquiets pour mon avenir, m’ont conseillé de faire des études. En fille obéissante j’ai donc fait une licence de lettres et un master d’édition, puis j’ai commencé à travailler dans l’édition de bande-dessinées. Il ne m’a pas fallu deux ans pour me rendre compte que je ne supportais pas de travailler dans un bureau! Je sentais que j’étais faite pour autre chose. Je suis donc devenue musicienne car j’avais une formation de violoncelliste. Je me sentais mieux, mais là encore il me manquait quelque chose, je savais que l’ennui viendrait un jour ou l’autre, et je ne pouvais pas m’imaginer « faire cela toute ma vie ». J’ai donc repris des cours de théâtre pour me professionnaliser, et ça a été une évidence : ce métier ne m’ennuierait jamais, il était une passion profonde et c’est là qu’était ma place! Après avoir pris des cours j’ai commencé à travailler et je suis maintenant comédienne, au théâtre et en voix principalement. Chaque projet est une source sans fin d’apprentissage, de découverte et d’émotions intenses! Et même si cette vie d’artiste est précaire et parfois angoissante, je ne changerais pour rien au monde, tant ce métier me passionne!
Comment je perçois Leonora Carrington : Leonora est une toute jeune femme de 22 ans lorsqu’elle rencontre Max Ernst. Elle a déjà admiré ses oeuvres, et Max devient vite son amant, son amour, et son mentor artistique. Leonora a un caractère passionné, très entier ; pour elle la tiédeur n’existe pas, elle adore ou elle déteste, et c’est une anti-conformiste née. Sa relation avec Max Ernst lui permet de s’épanouir, à la fois en tant que femme et en tant qu’artiste. Mais la deuxième guerre mondiale va les séparer après trois années de bonheur…
Lorsque Max est fait prisonnier pour la seconde fois au Camp des Milles, Leonora bascule dans un délire schizophrène. Elle raconte son délire et son internement en hôpital psychiatrique dans le livre « En Bas », que je me suis procuré. Ce qui m’est apparu tout d’abord, c’est la violence de ses émotions, et la teneur mystique de ses « délires ». J’emploie les guillemets volontairement, car la folie est toujours définie par rapport à une norme, à ce que le plus grand nombre tient pour normal et sain. Quelle différence entre un medium par exemple, qui entendra et verra des choses invisibles aux yeux de la plupart des gens, et un schizophrène? Pourquoi certains ont-ils un « don de clairvoyance » quand d’autres sont rangés dans la catégorie des fous? Tout cela est très relatif en fonction des époques et des cultures…
La teneur mystique de ses délires montre que Leonora tente de mettre de l’ordre dans un monde qui n’en a plus : son unique amour a été fait prisonnier, la guerre éclate et les nazis progressent, elle est poussée par une amie à fuir la France… Ses divagations sont finalement une protection contre le chaos ambiant, et l’investissent d’un pouvoir et d’un contrôle absolu sur les gens, les animaux, les événements politiques, qu’elle n’a évidemment pas dans la réalité. C’est tout à fait cohérent vu de l’intérieur : c’est une jeune artiste surréaliste, qui travaille beaucoup avec son inconscient pour élaborer ses oeuvres, et dont le psychisme trouve là le moyen de s’échapper d’une réalité insupportable.
Le personnage que j’interprète est donc une jeune femme extrêmement émotive et réactive, aux sentiments violents et parfois contradictoires. Elle peut être perçue comme « folle » par le spectateur car elle s’éloigne de plus en plus de la norme des comportements acceptables socialement, et tient des discours qui peuvent sembler décousus ou violents – et pourtant ils sont bien moins fantaisistes qu’ils n’y paraissent! Elle est dans une sorte de fièvre permanente, voit et entend des choses invisibles, mais son parcours, de la maison de Max à Saint Martin d’Ardèche à l’hôpital psychiatrique de Madrid, constitue paradoxalement une forme de délivrance et d’accomplissement pour elle. A l’issue de son internement elle sera « délivrée » de ses délires, certes, mais elle aura surtout acquis une autonomie, une indépendance, une force intérieure qui lui faisaient défaut avant cette expérience, et qui lui permettront de devenir une femme et une artiste complète, n’ayant plus besoin d’une figure tutélaire pour exister. Je suis persuadée (mais cela n’engage que moi) que cette expérience extrêmement violente lui aura été indispensable pour devenir la grande artiste qu’elle a été par la suite, en lui permettant de se connecter aux forces obscures de son âme, et de se « délivrer » (c’est elle qui emploie ce mot) de l’emprise de Max Ernst.
Nous jouerons cette pièce du 20 mai au 1er juin au théâtre de l’Epée de Bois / Cartoucherie de Vincennes, tous les soirs à 20h30 sauf le lundi. Représentation supplémentaire les samedis à 16h