Journal Fou
FABULEUX DIZZY BRAINS

Ce vendredi soir avec John et trois autres amis nous ne nous attendions pas à une telle soirée en débarquant au « pan piper ». Nous étions venus voir le groupe Dizzy Brains, soit dit en passant ce qui signifie : « les cerveaux étourdis », et nous sommes tombés sur une pépite musicale, que dis-je : un groupe sachant faire des shows qui vous frappe comme une claque musicale et vous font vibrer comme une machine à laver devenue folle !
Dizzy Brains est un groupe malgache haut en couleur dont l’ossature est composée par les frères Andrianarisoa : Eddy au chant et Mahefa à la basse. Il y a aussi Poun à la guitare et Mirana à la batterie. Depuis 2011, il squattaient les rues et les bars de Madagascar, jusqu’à leur révélation qui les a propulsé sur la scène française où aux « Transmusicales de Rennes » leur prestation fut vivement saluée.
Et pour cause , les Dizzy Brains sont des bêtes de scène. Eddy, le chanteur est hallucinant ! Son jeu de scène époustouflant ! Fils spirituel de Mick Jagger et Iggy Pop, il a la bouche et les lèvres sensuelles du premier et l’hyper énergie du second. Ses attitude sensuelle et son sexe appeal sont détonnant, et nous en avons été scotchés tant Eddy est brillant et envoutant sur scène.
Leur musique : punk dans l’attitude et « garage rock ». Des riffs à la guitare envoutant , à la rythmique et au solo digne des grands du rock des années 60, 70; ou complètement actuels. Des compositions engagées et dénonçant l’immobilisme, la corruption, la précarité et la censure sexuelle au sein de la société malgache. Aussi comprend -t-on pourquoi Dizzy Brains est un groupe interdit de radio et de télévision à Madagascar.
Très vite l’ambiance est devenu complètement folle sur le dance floor tant nous avions envies de bouger , nous agiter, de pogoter dans tous les sens , envoutés par les ondulations et les zébrures sonores de la guitare, l’esprit chaviré et retourné par les cris musicaux d’Eddy : les Dizzy Brains nous avaient emportés avec eux dans leur bolide musicale rock’n roll…
Songes du Pays de Wa
Songes du Pays de Wa
Yoshitaka : La valeur pédagogique de la souffrance. 5
Kiba : substituer le jugement à l’empathie. 12
Dans la cosmogonie hindouiste, Brahma est un démiurge qui engendre l’Univers en rêvant ; Las de sa divine solitude, il créa Maya pour jouer avec Lui. Suivant les conseils de cette dernière, Brahma donna naissance au plus magnifique jeu qu’il soit : l’Univers. A l’issue de cette divertissante & illusoire création, la déesse sépara Brahma en une multitude de particules qu’elle répandit dans chaque être humain ; ainsi fractionné, le démiurge oublia qui il était et prit part au jeu que la malicieuse Maya lui avait concocté : se découvrir lui-même par le biais de cette myriade d’erzats que sont les êtres humains.
Ce recueil de nouvelles est le fruit de nombreuses parties de Jeu de Rôle où sept amis vécurent de palpitantes aventures sorties tout droit de l’imaginaire fertile d’un Maître du jeu talentueux. Par ce biais, Ô combien ludique & vain, qui valut aux membres de la tablée des récriminations incessantes de la part de leurs amis, familles & compagnes d’alors, nous avons tous appris à mieux nous connaître.
A l’instar de Brahma, nous avons incarnés de multiples personnages dans de multiples situations virtuelles qui nous ont mis face à des choix, des cas de consciences & des sentiments que la morne réalité du XXIème refusait de nous donner. Par ce divertissement tout à fait Pascalien, nous avons pu nous extirper d’un réel d’une banalité affligeante pour nous réfugier dans un imaginaire où nos idées, nos choix et nos actes avaient un impact.
Il y a cependant une douce ironie à cette fuite dans l’imaginaire : rêver d’une vie aventureuse et héroïque nous a permis d’accumuler une somme de connaissances et de compétences d’une utilité incontestable dans la vie quotidienne. D’une certaine manière, nous sommes sortis du jeu de rôle par le jeu de rôle. Les aventures que nous vivions étaient imaginaires mais les sensations, les sentiments & les réflexions qu’elles provoquaient en nous étaient loin, elles, d’être virtuelles.
Je voudrais donc aujourd’hui partager avec vous ─lecteurs─ ces rêveries. J’ose espérer qu’elles vous divertiront, qu’elles vont donneront, peut-être, matière à réflexion & surtout qu’elles parviendront à rendre hommage à ce Maître du Jeu généreux, bienveillant mais un peu fou qui, par son seul talent d’improvisation, nous a tant apporté.
Damien
« La gratitude est le paradis lui-même. »
William Blake
Yoshitaka : La valeur pédagogique de la souffrance
Beaucoup d’êtres ont tenté et tentent encore de définir ce qu’est la Vie ; d’en déterminer l’origine, le sens, les limites. Il y a d’innombrables définitions à la notion de Vie et nous allons, dans l’histoire qui va suivre, aborder l’une d’entres elles. Ce ne sera ni la plus noble, ni la plus belle, ni la plus attrayante mais, peut-être, sera-t-elle la plus instructive.
Il existe en ce monde des âmes si fragiles qu’elles ne peuvent être qu’éphémères, des âmes à l’équilibre si précaire que face aux vicissitudes de l’existence elle choisiront le néant. Pour les êtres dotés de telles âmes, aucune homéostasie n’est possible : la vie est une souffrance de chaque instant, le monde un purgatoire et leurs semblables des démons.
La survie de tels êtres ne dépend que d’une seule et unique chose : leur capacité à changer le monde. Mais qui peut prétendre imposer sa volonté à d’autres entités, à la matière, à l’énergie ? Qui peut prétendre forger le Réel selon son bon vouloir, si ce n’est un Dieu ?
Il était une fois, dans le Pays de Wa, une confrérie de cinq combattants. Chacun d’eux était l’incarnation d’une vertu : Devoir, Volonté, Courage, Justice et Amitié fraternelle. Au fil des années et au gré des combats ils avaient appris à se connaitre, à se respecter et surtout à ne faire qu’un face à l’adversité. « Nous ne sommes pas nés le même jour mais nous mourrons le même jour » telle était leur promesse, tel était leur credo…
Ces samouraïs —serviteurs— étaient unis, pas seulement par leur serment ou par leur allégeance à un maitre mais par un idéal : apporter l’Harmonie aux Terres du Milieu. Certaines nuits, à la faveur des chaleurs combinées de l’alcool, d’un feu et des femmes ils se laissaient aller à la rêverie ; Ils rêvaient ensemble du jour où ils seraient libres, du jour où le règne de la paix les affranchirait du fardeau harassant de leurs fonctions.
« — Un jour, ma petite, la paix règnera et tu pourras te vanter d’avoir passé une soirée avec l’un de ses instaurateurs, déclara Wang Work à une geisha.
— Et qu’est-ce qui te fait croire qu’elle ou toi vivrez assez longtemps pour en profiter, lança Tan Zaemon sarcastique.
Wang Work qui était jusqu’alors négligemment avachi sur un parterre de coussins finement brodés, répondit instinctivement à la provocation en redressant son buste large et puissant. Achevant de reprendre une posture décente, il rétorquant fièrement :
— Le tranchant de mon sabre, Maitre de l’école du Phénix.
Les deux samouraïs prirent un air sérieux et se toisèrent tout en finissant leur coupelle de saké. Sentant la tension monter, les geishas en pleine représentation changèrent le thème de leur musique et de leur danse pour quelque chose de plus doux.
— Ne pouvez-vous pas faire preuve d’un peu plus de respect à l’égard des dames ici présentes et cessez vos enfantillages, intervint le Maitre de l’école du Dragon Divin.
Wang Work et Tan Zaemon réagirent de concert :
» Ce soir, pas de leçon d’étiquette Mimuji Shoki, nous nous détendons ! »
—Mais justement mes amis, justement. Puisque nous sommes ici pour nous détendre pourquoi vous invectiver à chaque occasion, déplora Le Maitre de l’école du Dragon Divin.
La seule réponse qu’eut le Maitre fut le silence. Pendants quelques instants, tous les convives se turent absorbés par la danse et la douce mélopée des dames de compagnie. A l’issu de la représentation des quatre geishas, Mihiko, l’Oiran qui présidait les festivités, posa sa coupelle de saké avec grâce et relança la discussion :
— Mes Seigneurs, pourrais-je vous demander à quoi occuperez-vous votre temps lorsque le pays goûtera enfin à la douceur de la sérénité ?
— La paix, Dame Mihiko, n’est qu’un moment de répits entre deux conflits ; je continuerai donc à perfectionner mon art du sabre et je demeurerai aux côtés de l’Empereur Akuchi tant qu’il aura besoin de mes services.
L’Oiran acquiesça aux propos de Wang Work puis posa un regard d’une douceur pénétrante sur le Maitre de l’Ecole du Phénix pour l’inviter à s’exprimer.
— J’œuvrerai au développement et à la prospérité de mon école. Le Phénix m’a fait don de bushi talentueux et assidus, après quelques années supplémentaires d’entrainement je choisirais l’un d’entre eux pour assurer ma relève en mon absence ; je projette de voyager à la recherche de reliques ancestrales du Phénix et de consacrer mes vieux jours à la rédaction de traités sur l’Art de la Guerre.
Une nouvelle fois, Mihiko acquiesça. Sa jeune maiko lui resservi une coupelle de saké qu’elle porta lentement à ses lèvres vermeilles. Après avoir dégusté une gorgée du breuvage, et voyant que ses deux autres invités gardaient le silence, elle reprit :
─ Et vous, Maitre de l’école du Dragon Divin, avez-vous quelque projet ?
Mimuji Shoki affichait une mine pensive et suivait du regard les doigts d’une geisha courir sur son koto. Bien qu’il eut parfaitement entendu la question il était absorbé par ses propres réflexions. Finalement, il posa sa coupelle avec délicatesse à côté de la bouteille de saké, dégluti discrètement et pris la parole :
─ Voilà plus d’un siècle que les Terres du Milieu sont ravagées par les conflits. Le peuple souffre et endure dignement les affres causés par les luttes de pouvoirs entre belligérants. Moi-même, depuis ma naissance je n’ai connu que la guerre et même si aujourd’hui je suis un magistrat d’Emeraude, un maitre d’école, un époux et un père j’ignore ce que signifie la quiétude d’un foyer. La guerre fait de nous des nomades, des déracinés elle nous rend étranger à nos semblables, à notre terre et à nous même. Nous nous battons pour quelque chose dont nous ignorons tout et si nous parvenons, comme je l’espère, à rétablir l’Harmonie j’ignore si nous serons aptes à vivre dans un monde en paix. Mes frères et moi sommes des combattants, qu’adviendra-t-il de nous lorsque la paix régnera ? L’empereur prévoit de nous récompenser d’un fief mais j’ignore tout de l’administration d’un fief.
Shoki s’interrompit. Bien que sa tirade ne semblait s’adresser à personne sauf à lui-même ses paroles résonnèrent dans tout leur être ; tous comprirent en cet instant que si la paix finissait par arriver il leur faudrait apprendre à vivre autrement. Après un long silence, que les chants et les danses peinaient à dissimuler Mimuji Shoki conclu :
─ Donc, pour répondre à votre question Dame Mihiko, je crois que lorsque j’aurai la conviction que la Paix sera vraiment installé, je rangerai mes sabres. Je m’occuperai de ma famille, de mes terres et je me consacrerai à la sculpture. Il y a dans mon dojo une effigie en bois de Fu Yi, sculpté par un de mes prédécesseurs, je pense que j’arpenterai cette voie. La voie du sabre m’a permit de me connaitre moi-même, la voie de la sculpture me permettra peut-être de me façonner une existence paisible.
Mihiko, qui avait écouté avec attention le discours du Maître, fut saisie par son humilité. Cela faisait plusieurs fois que les proches conseillers de l’Empereur lui faisaient l’honneur de lui rendre visite mais jamais elle n’aurait pensé que l’un d’eux lui parlerait avec tant de sincérité. Elle prit cette confession pour une marque de confiance et voulu montré la réciprocité du sentiment en poussant plus en profondeur la discussion :
─ Maître Mimuji quelque chose m’échappe, je pensais que la guerre était la finalité du bushido. Vous êtes un homme accompli et le crédit de votre charge de magistrat d’Emeraude en atteste. Pourtant, vous déplorez la guerre tout autant que vous redoutez la paix.
─ La finalité du bushido, Dame Mihiko, n’est pas la guerre mais l’Harmonie ; l’harmonie avec soi-même, avec autrui et avec l’Univers. L’homme d’armes n’est en rien différent de la joueuse de koto. Vous savez certainement mieux que moi que l’Art du koto nécessite de focaliser son esprit et son corps dans le but d’organiser des sons de manière harmonieuse ?
─ C’est exact.
─ Et bien, il en va de même pour le guerrier. Il se focalise sur le moment présent sans songer à la mort dans le but d’agir de la manière la plus juste, la plus harmonieuse.
─ Je comprends, Maitre Mimuji. Mais je ne saisi toujours pas pourquoi songer à la paix est, pour vous, source de tracas. La paix est votre alliée dans le tumulte du combat pourquoi ne la serait-elle pas à l’issu des conflits ?
─ La paix dont vous parlez, Dame Mihiko, n’est pas l’Harmonie. Elle y participe assurément mais n’est qu’une émanation de l’Harmonie. Les paroles de Wang Work m’ont remémoré une évidence : l’impermanence de toute chose. La destruction de nos ennemis mettra un terme définitif aux conflits mais le Bushido n’est pas une voie de destruction, c’est une voie qui va par delà la victoire et la défaite. La Guerre n’est qu’un symptôme d’un déséquilibre, tant que l’Harmonie ne règnera pas dans tous les cœurs du Aku, la paix ne sera qu’éphémère.
Tout comme Mihiko, Wang Work et le Maitre du Phénix avaient bu les paroles de leur frère d’armes. Cependant, lorsque Shoki eut explicité toutes les conséquences de la recherche de l’Harmonie Tan Zaemon sentit son sang bouillir. Machinalement, il serra son poing droit; ce qui n’échappa pas au Maitre du Dragon Divin. Contenant son impétuosité à grand effort, il prit une inspiration avant de demander d’un air contrit :
─ Ce degré de perfection dans la Voie n’est accessible que par des gens d’exception, Shoki. Souhaites-tu faire de cette populace de sots, de rustres et de faibles des illuminés ?
─ C’est ce que je souhaite, mon frère. Mais seul je n’en suis pas capable.
─ Tu ne pourras jamais élever celui qui se vautre avec complaisance dans la fange et le crime. Mais à défaut de pouvoir les libérer de leurs vices tu pourras toujours libérer le monde de leur méprisable existence. Nous sommes frères d’armes mais je ne te suivrais pas dans cette Voie car elle est vaine.
Le Maître du Dragon divin abaissa lentement ses paupières et acquiesça, résigné. Quant à Wang Work, il écoutait distraitement tout en frottant son menton avec la tranche de son index. Puis, après qu’il ait plissé les yeux, il brisa le silence de sa grosse voix rauque :
─ Ce qu’il y a de bien avec cette engeance, mes frères, c’est qu’elle a une fâcheuse propension à s’autodétruire aussi vite qu’elle se reproduit. Faisons notre chemin et laissons les faire le leur, avec un peu de chance nous n’aurons pas à souffrir de leur rencontre.
De nouveau, Wang Work se laissa tomber dans l’amas moelleux de coussins et se saisi d’une pleine bouteille de saké pour la vider dans son gosier aussi vite qu’il s’en était emparé. Ainsi réchauffé et grisé par l’alcool il rajouta :
─ Après tout, je ne vois pas vraiment où est le problème. Après avoir éliminé la menace extérieure on s’occupera de la menace intérieure. La solution est semblable à nos sabres : simple, rapide et efficace.
Mihiko ne perdit pas un mot de la discussion entre les magistrats d’Émeraude. Elle était à la fois amusée et fascinée par leur comportement. Devant elle, se tenaient tour à tour des hommes d’armes, des enfants, des frères et des Maîtres : ils avaient tant à lui apprendre…
La jeune fille se sentait en sécurité en leur présence, presque heureuse. Que pouvait-il lui arriver à elle et aux Terres du Milieu si de tels hommes servaient l’Empereur ? Avec surprise elle constata qu’elle souriait. Espérant que cela soit passé inaperçu, elle effaça de son visage cette manifestation de bonheur. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas souri de la sorte ; la vie ne l’avait pas épargnée depuis ces huit derniers mois. Lointaine nièce de feu Nobunaga Oda, elle avait vécu le siège du château de son oncle : les cris, les flammes, la fumée et la vison des cadavres hantaient encore ses nuits. Il lui arrivait parfois de se réveiller trempée de sueur et dans un état de panique intense. Tous les hommes de sa famille qui ne s’étaient pas ralliés à Mitsuhide Akuchi avaient été froidement exécutés ; quant à elle, vendue à une maison verte, la fortune de sa famille lui avait été confisquée et on ne lui avait laissé qu’une infime partie des kimonos somptueux qu’elle possédait.
Par chance, elle était pour le moment restée intacte. L’Okiya semblait vouloir préserver son mizuage pour un protecteur de marque ; protecteur par le biais duquel son établissement pourrait jouir d’un prestige certain. Tandis que Mihiko apprenait à accepter sa nouvelle condition, on lui annonça que des hôtes prestigieux sollicitaient une entrevue. La première fois que les magistrats d’Émeraude vinrent lui rendre visite, elle avait ressenti de l’excitation mais aussi de la peur : elle était honorée que des hommes de noble extraction lui témoignent de l’intérêt mais dans le même temps elle craignait de les décevoir. Que se passerait-il si elle commettait une erreur ? Cesseraient-ils leur visites ? Que lui dirait l’Okiya ?
Chaque nouvelle missive portant le cachet du grand intendant du Palais Impérial signifiait pour elle et pour sa nouvelle maison la mise en branle de moyens princiers : l’Okiya mettait tout en œuvre pour que les mets les plus savoureux et le meilleur saké leur soit servi ; tout comme elle choisissait les meilleures musiciennes de l’établissement pour leur garantir un divertissement satisfaisant.
Depuis la déchéance de sa famille, ces soirées étaient les seuls moments où elle se sentait elle-même, où elle était insouciante, où elle rêvait de nouveau au mariage. Si seulement, un homme comme l’un d’eux pouvait la délivrer de son marasme et lui faire retrouver les conditions de vie qui furent auparavant les siennes et qu’elle estimait mériter…
Alors que la tension entre les convives était retombée et que les magistrats d’Émeraude semblaient profiter du spectacle des geishas, Mihiko fut interrompue dans ses rêveries par le regard froid et insistant de l’inconnu qui accompagnait ses invités. Elle ignorait son nom, ses liens avec les magistrats d’Émeraude et la raison de sa présence ici. Il était resté silencieux durant toute la soirée et elle constata avec étonnement qu’il n’avait pas même touché la coupelle de saké posée devant lui. Quand elle le regarda en souriant, il cligna lentement des paupières et lui rendit sobrement son sourire. S’inquiétant, de ce qu’il pensait des festivités elle entreprit d’engager la conversation :
─ Mon Seigneur, la boisson vous convient-elle ? Vous n’en avez pas bu une goutte.
Les magistrats d’Émeraude notèrent le prémisse d’échange tandis que l’inconnu marquait un temps avant de répondre :
─ Je n’ai pas une bonne résistance à l’alcool.
La réponse de l’inconnu fit hurler de rire Wang Work qui regarda Mihiko :
─ Ne faites pas attention à lui, Dame Mihiko, c’est un lâche !
─ Un menteur et un fourbe, s’empressa de rajouter Tan Zaemon en finissant d’une traite sa coupelle de saké.
Pendant un instant Mihiko ne sut comment réagir. La toilette de l’inconnu et sa prestance ne laissaient pas penser qu’il fut un homme de basse condition mais dans le même temps la désinvolture et la raillerie dont faisaient preuve Wang Work et Tan Zaemon induisaient qu’ils se connaissaient bien ; suffisamment bien pour que l’inconnu ne se sentent pas offensé par leurs propos. Le Maitre Mimuji leva bientôt le voile sur l’identité du mystérieux inconnu :
─ C’est cela et bien plus encore mes Frères, c’est un Zhuge, conclu Mimuji d’un ton entendu et plein de malice.
─ Un Zhuge, laissa échapper Mihiko.
Le ton de ses paroles avait devancé sa pensée. Mihiko prit conscience de l’erreur d’étiquette qu’elle venait de commettre : il était très inconvenant de laisser transparaître sa consternation. Elle baissa les yeux et se tut. Alors qu’elle levait discrètement les yeux en direction du Zhuge pour guetter sa réaction, elle constata avec surprise que ce dernier avait comme anticipé son mouvement et la contemplait, circonspect. Un léger sourire se forma sur ses lèvres et il déclina enfin son identité en s’inclinant respectueusement :
─ Je m’appelle Zhuge Yoshitaka, Premier Ministre du Shu et Fils du Vénérable Zhuge Liang, Dame Mihiko, c’est un honneur de partager ce moment en votre compagnie.
A son tour Mihiko s’inclina en priant pour que son erreur ne lui cause aucun tort. Pourquoi ne s’était-il pas présenté ? Pourquoi la fixait-il avec tant d’assiduité ? Que faisait le premier ministre d’une force rivale du Aku — qui ne reconnaissait pas Mitsuhide Akuchi comme Empereur — auprès des plus fidèles serviteurs de ce dernier ? Mihiko but une nouvelle gorgée de saké en réfléchissant aux raisons et implications de la présence de ce personnage dans ses appartements. « Je suis si sotte » songea-t-elle ; Moi, qui pensait qu’ils me manifestaient de l’intérêt il ne sont là que pour des jeux politiques… une idée surgit dans l’esprit de Mihiko : « Peut-être sont-ils venus ici pour ourdir un complot contre l’Empereur ? » Sclérosée par l’effroi, son corps ne lui répondit plus et la coupelle de saké qu’elle portait à sa bouche lui échappa et chut sur le sol.
─ Vous allez bien Dame Mihiko ? s’enquit le Maitre du Dragon Divin.
La jeune maïko au service de Mihiko se pressa en direction de sa maitresse.
─ Pardonnez-moi mes seigneurs, je suis d’une incorrigible maladresse sous l’effet de l’alcool, bredouilla l’Oiran pour tenter de ne pas perdre la face.
Alors que la maïko se hâtait de ramasser les débris qui jonchaient le parquet luisant devant sa maîtresse, Mihiko entreprit de l’aider à rassembler les éclats. L’un d’entre eux, plus tranchant que les autres, entailla son doigt profondément et lui arracha une grimace. Instinctivement, Mihiko compressa son index au dessus de la blessure tandis qu’une grosse goutte de sang perlait à son extrémité. Lorsque plusieurs perles écarlates touchèrent le sol elle manqua de défaillir.
─ Maîtresse, chuchota la maiko qui avait cessé son nettoyage pour la soutenir.
Zhuge Yoshitaka, qui se situait près d’elle, se leva, mit délicatement sa main dans la sienne et plongea l’autre dans la manche de sa propre tunique.
« Regardez-moi, Dame Mihiko. »
Ces mots prononcés d’une façon étrangement mélodieuse, apaisèrent instantanément Mihiko sans qu’elle ne sache pourquoi. Elle obéit, et ne put s’empêcher de plonger son regard dans les yeux émeraude du fils de Zhuge Liang.
─ Ceci est un onguent de ma composition capable de guérir les blessures légères très rapidement. Dans quelques minutes, vous n’y penserez même plus.
Yoshitaka retira la main de sa manche, son index était surmonté d’une petite noisette de pâte verte odorante qu’il appliqua précautionneusement sur la blessure de la jeune fille. Une douce chaleur envahit bientôt la main puis le bras de Mihiko et lorsque Yoshitaka eut fini de oindre l’extrémité de la phalange, Mihiko put détacher son attention des yeux du Zhuge et constata que plus aucune trace de blessure n’apparaissait.
L’Oiran semblait être la seule à s’étonner de ce qui venait de se passer. Les trois magistrats d’Emeraude profitaient du spectacle pendant que Yoshitaka reprenait paisiblement sa place. Même sa servante semblait s’être désintéressé de ce que fut sa blessure. Profitant des applaudissements sonores de Tan Zaemon et de Wang Work, Shoki s’avança légèrement vers Mihiko et lui dit à voix basse :
─ Yoshitaka est issu d’une lignée de mystiques. Ce qu’il fait ou dit nous échappe parfois mais c’est quelqu’un de bonne compagnie quand il est vraiment là.
─ Quand il est vraiment là ? Que voulez-vous dire Maître Mimuji ?
─ Disons que parfois son corps n’est plus tout à fait la demeure de son esprit, expliqua Shoki en se rasseyant.
Mihiko était de plus en plus perplexe. Quelque chose qu’elle n’arrivait pas à définir lui échappait ; bien qu’elle fut dans ses appartements, elle ne se sentait pas à sa place. A la douce euphorie qu’avait suscité la venue des magistrats d’émeraude succédait maintenant une insidieuse suspicion : que faisaient ces hauts dignitaires du pays dans une maison des plaisirs? Elle avait pensé jusqu’à présent qu’ils venaient chercher la douceur de la compagnie des femmes, une sorte d’interlude dans leur quotidien violent mais désormais elle n’en n’était plus très sûre. Une fois de plus, elle sentit l’attention du premier ministre du Shu posée sur elle. Quelque chose chez cet homme la mettait mal-à-l’aise. Elle se sentait évaluée, jaugée ; durant tout le début de la soirée elle n’avait même pas prêté attention à sa présence mais maintenant il lui semblait qu’il n’y avait plus que Lui dans la pièce.
Enfin, le fils de Zhuge Liang daigna dégusté une gorgée du saké. Il la savoura en silence et les yeux fermé puis, une fois la coupelle reposée, il s’adressa à Mihiko :
─ Dame Mihiko, vous ne nous avez pas fait part de vos projets d’avenir, quelle genre de vie souhaiteriez-vous lorsque Wang Work aura pacifié les Terres du Milieux ?
Lorsque Mimuji Shoki entendit la question de son frère d’armes, il contempla avec appréhension Mihiko puis posa un regard réprobateur sur Yoshitaka :
─ Yoshitaka…
Face à la question du Premier Ministre la jeune fille se sentie désemparée. Elle prit la mesure de l’impact que sa nouvelle vie avait eu sur elle ; des mois durant on l’avait formé à ne prendre en compte que les désirs de ses futurs clients, à discourir, à calligraphier, à jouer du shamisen. Son ascendance lui avait assuré un statut privilégié ; on la dispensait des tâches domestiques ingrate pour préserver sa fraîcheur et sa beauté. L’éducation qu’elle avait reçu au château d’Azuchi lui avait permise d’être élevée au rang d’Oiran provoquant des jalousies parmi ses « sœurs ». Ses journées été réglées comme du papier à musique et toute son attention été porté sur son apprentissage. Sa survie dépendait des bonnes grâces de l’Okiya et surtout de l’intérêt que lui portaient ses seuls clients. Rien de ce qu’elle faisait n’était entreprit pour son propre plaisir mais seulement pour l’intérêt d’autres personnes. Elle ne s’appartenait pas, la seule emprise qu’elle avait sur son avenir dépendait de sa capacité à satisfaire d’autres individus qu’elle-même… et cet homme le savait. Un sentiment de vide d’une profondeur insondable l’envahit puis la colère lui succéda. Tout Premier ministre qu’il était, comment pouvait-il avoir l’ignominieuse cruauté de lui poser cette question ? Il savait quel serait son avenir, il savait ce que furent et seraient ses conditions de vie, il savait qu’elle n’avait aucun pouvoir de décision sur elle-même. La seule chose qui était en son pouvoir était d’endurer. Est-ce là son but en posant cette question ? L’avait-il soigné pour après lui faire endurer cette humiliante prise de conscience ? Mihiko sentit les larmes lui monter aux yeux et dans un élan d’orgueil elle se força à les retenir. Elle ne craquerait pas, elle l’endurait lui comme elle endurait sa condition.
─ Je l’ignore, mon seigneur, ce qu’il adviendra de ma personne ne dépend pas de moi.
Kiba : substituer le jugement à l’empathie
D’aucuns diraient que la Vie est un combat au cœur duquel se trouve la Vérité. La multiplicité des conceptions du monde a toujours généré des conflits d’intérêts meurtriers et il est de notoriété publique que ce sont les vainqueurs de ces conflits qui imposent leur vérité.
Les vaincus n’ont pas d’autres alternatives que de se soumettre ou de mourir mais qu’en est-il des idées qui ont poussés des êtres à s’affronter ? A la manière des êtres vivants, les idées peuvent-elles mourir, peuvent-elles être soumises ? La Vérité est-elle toujours du côté du vainqueur ?
La victoire est-elle un jugement du vainqueur sur le vaincu ou le jugement de la Vie sur des idées erronées ? Comment résoudre un conflit ? Par le fil de l’épée du Jugement ou par la douceur de l’empathie ?Si ce sont les idées à l’œuvre dans les âmes des êtres vivants qui les poussent à s’affronter pourquoi ôter la vie à ces êtres ? Ne serait-il pas préférable d’entendre les idéologies qui les poussent à agir et de les éduquer en ayant le Réel pour seul Maître ?
Dans la quiétude d’un vallon où serpente une rivière, un jeune sauvageon adossé à un arbre somnole. Les vestiges d’étoffes grossières qui recouvrent son corps laissent entrevoir une peau de bronze parsemée d’anciennes meurtrissures. Sa respiration profonde couvre à peine le doux borée qui agite les feuillages.
Sur les coteaux, un soudain frémissement venu du Nord parcourt la végétation séculaire stoppant net le dodelinement insouciant de la tête du jeune homme. Il ôte son couvre-chef de paille, scrute le ciel un instant en direction du Nord puis ramasse le morceau de bois taillé qui repose près de sa couche improvisée. Après de rapides étirements, et un bâillement dont l’écho se fait entendre dans toute la ravine, il se dirige vers le cours d’eau pour s’y désaltérer .
À une dizaine de mètres de l’onde, derrière un mur d’immenses fougères, se tapit un loup géant au pelage gris ; l’animal contemple sa proie sans bouger depuis plus d’une minute, ses beaux yeux jaunes suivent chaque mouvement de son futur déjeuner. Il observe patiemment le jeune homme qui lui tourne le dos et ne semble pas l’avoir remarqué… une fraction de seconde plus tard le loup fond sur le sauvageon tous crocs dehors. Le claquement sec de la mâchoire du loup retentit tandis que son hypothétique repas a déjà bondi sur le côté pour esquiver l’attaque.
Les pieds dans l’eau, les genoux à demi-pliés et le bout de bois dans sa main droite, le sauvageon observe attentivement le canidé sur la berge. Leurs yeux se croisent, puis leurs regards se font moins intenses, lentement leurs postures respectives se détendent ; Là, dans l’intimité de leurs esprits un échange commence entre les deux êtres. Un dialogue inaudible et mystérieux venu du fond des âges— le murmure des esprits— vestige d’une époque où l’Homme et la Bête arpentaient la terre en égaux face à la puissance de Mère Nature.
L’indicible conversation est faite d’images, de sons et d’émotions. Il est question d’un appel, du grand chêne, d’un visiteur et d’une menace dont la simple évocation trouble l’échange psychique du loup et du sauvageon.
» Rejoignons le Grand Trent, Frère », avec agilité le sauvage se hisse sur l’improbable monture géante et ces derniers, en quelques bonds, s’enfoncent dans la forêt à vive allure. Le poing solidement refermé sur une touffe de poils, le jeune homme voit défiler la végétation de cette forêt qu’il a appris à connaitre depuis tant d’années. Combien d’hivers se sont écoulés depuis son arrivée sur l’île ? Depuis combien de temps n’a-t-il plus vu son père qui lui a transmis le langage des hommes, l’art du combat au sabre et un nom : Kiba Miyamoto.
Avec un certain effort, il tente de retrouver les traits du visage de celui qui lui a donné la vie, la voix de cette image paternelle qui lui a transmis le peu de connaissances qu’il possède sur ses semblables humains. Ce qu’il ne peut oublier est l’odeur de son père, mélange subtil de sa propre odeur mêlée à des senteurs qui viennent d’au-delà de la mer : l’odeur du monde des hommes. Ces réminiscences olfactives le ramènent dans le passé, le temps où tout n’était que découverte et émerveillement ; le temps où, au creux des racines du Grand Trent son père lui narrait l’histoire de ses aïeux. Le père de son père, Musashi, était un chevalier de Gaïa de la meute de Fenrir —l’ombrageux Père Loup qui arpentait jadis le continent oriental des Hommes— Bien qu’il fut humain, Musashi n’avait pas perdu le lien qui l’unissait à Gaïa et combattait aux côtés de seigneurs de guerre contre un curieux humain —Cao Cao— qui revendiquait la propriété absolue du continent oriental. Ce détail avait intrigué le jeune enfant qu’il était et il s’était empressé de demander comment une créature mortelle aussi insignifiante qu’un humain pouvait prétendre détenir une partie de Gaïa ? Les humains, enfants de Gaïa dotés d’intelligence, semblaient ne pas comprendre, ou ne pas vouloir comprendre, que leur Mère à tous n’était la propriété de personne. Ainsi, son père lui avait répondu que les humains passaient leur temps à s’entretuer pour une chimère qu’ils avaient eux-mêmes appelé Pouvoir. Aujourd’hui encore le sens de ce mot lui échappe — curieux langage que celui des hommes. Bien que leur parler soit censé leur permettre d’appréhender la réalité et de communiquer entre eux il est empli d’idées et de mots qui ne reflètent en rien la véritable nature du monde. Lorsque Kiba fut plus âgé, son Père et l’Esprit des arbres —Le Grand Trent— lui avaient expliqué que, coupés de Gaïa, les humains n’étaient plus capables de percevoir le monde avec une parfaite acuité. Cette cécité partielle avait engendré dans leurs esprits une compréhension limité de leur environnement ; ils ne faisaient plus vraiment parti de Gaïa et désormais leur horizon se confinait à leur propre existence, à ce que les Hommes dénommaient Culture.
Soudainement, le loup stoppe net sa course effrénée sortant Kiba de ses rêveries. Au centre de la clairière, virevolte un étrange papillon couleur améthyste bientôt rejoint dans son ballet par une myriade de congénères. Leur progression est lente, le battement de leurs ailes parait irréel comme s’ils évoluaient non dans de l’air mais dans un liquide sirupeux.
Dilly Dally -19 /01/2015 – la Mécanique Ondulatoire (Paris) écrit par PATRICK BRETELLE
La mécanique ondulatoire est un pb disposant d’une cave très bien aménagée pour recevoir les groupes, situé en plein quartier Bastille, à deux pas du disquaire Born Bad, et ce leiu est à la mode.
Les barmens sont sympa, le prix des conso n’est pas excessif, et on peut y entendre de la bonne musique, comme ce soir le groupe canadien Dilly Daily.
C’est par hasard que nous avons découvert ce groupe qui existe depuis 2009 et qui est tout simplement excellent. Ils jouent une sorte de grunge dans unne formation basse-batterie-guitare solo- guitariste chanteur. Leur sens de la mélodie est très clair, et la guitariste soliste a un son excellent, très fluide, qui donne une couleur spéciale aux chansons et attire l’oreille . C’est une femme, comme quoi les macho n’ont qu’à aller se rabiller. La chanteuse est jolie, ceci dit, et l’on parlait anglais dans la salle. Nous vous conseillons ce groupe dont le son est assez original et dont la demoiselle soliste donne une leçon de guitare aux tristes hard-rockers overlookés que nous entendons le dianche après-+midi sur les ondes FM. Nous vous recommendons ce groupe, qui certe n’invente rien, mais le joue impecablement.
Patrick Bretel
Projet 2501
Par Damien Le Liboux
Phase I : Le rieur
« Accréditation acceptée. Bonjour professeur Vayn.
— Bonjour S.C.I.A. »
La porte coulissante du laboratoire s’ouvrit et le professeur Hermann Vayn pénétra dans le local éclairé par la douce lumière des diodes électroluminescentes.
« S.C.I.A, affiche le rapport d’activité de la nuit, je te prie. »
Des écrans holographiques apparurent sur la table de travail et diffusèrent des diagrammes colorés en trois dimensions. La voix synthétique féminine entreprit un rapide résumé des évènements importants : « L’algorithme Λ parvient avec succès à limiter la décohérence du processeur quantique, cependant les sondes treize et vingt-sept ont indiqué plusieurs anomalies thermiques à des fréquences régulières… »
Hermann, qui venait de poser son attaché-case, fronça les sourcils et parcourut d’un œil circonspect les données de l’écran :
« Le réamorçage des sondes a-t-il été conforme à la procédure standard ? »
Le scientifique se dirigea vers la surface vitrée opaque qui recouvrait le fond du labo. À son approche, elle devint translucide et les entrailles du super ordinateur se dévoilèrent.
« Oui professeur, la procédure de réamorçage s’est correctement effectuée à quatre reprises mais la dernière tentative a échoué pour des raisons inconnues. Un remplacement des sondes treize et vingt-sept est prévu pour cet après-midi à 13 heures 00 par l’agent Franck Bishop, accréditation Tropo30/26. Souhaitez-vous que j’avance l’intervention ? »
Hermann plongea la main dans la poche de sa veste et en sortit une capsule bleue. Au bout de la pièce, un petit robot d’assistance s’activa et lui apporta un verre d’eau fraîche. Perdu dans la contemplation du cœur de la machine, il prit son temps pour répondre :
« Oui, contacte la maintenance et fais venir quelqu’un au plus vite. »
L’intelligence artificielle s’exécuta et des « bips » rapides résonnèrent dans la pièce.
L’œuvre de sa vie se tenait devant lui, majestueuse et porteuse d’espoir. Depuis la fin de ses études, il s’était échiné à promouvoir son projet d’ordinateur quantique de nouvelle génération. Combien de nuits avait-il passées à peaufiner le processeur et à définir l’algorithme Λ ? Certainement beaucoup trop selon son analogie féminine, celle qui eut la brillante idée de demander une réaffectation au Centre de Perpétuation Raisonnée de l’Être Humain le jour de sa nomination au poste de directeur de projet. Qu’elle n’entrevoie pas la possibilité de procréer avec lui une descendance était une chose, mais qu’elle choisisse ce jour symbolique pour manifester son désengagement relevait de l’irrévérence ! C’était donc seul qu’il avait dû se rendre à la soirée organisée par le Comité Central pour célébrer son accession au poste. Ce soir-là, ses anciens mentors l’avaient congratulé et ses futurs collègues s’étaient empressés d’échanger un mot avec le nouveau génie de la quanta informatique. Son travail était enfin pris en considération et ses compétences reconnues par ses pairs. Cette nuit-là, et pour la première fois de sa vie, il s’était enivré ; par mimétisme plus que par envie. Hélas, à la différence de ses homologues, il n’était pas familier de ce genre de réception, il n’en maîtrisait pas les codes. L’absence de son analogie féminine, son interface sociale comme il l’appelait, n’était pas là pour corriger son attitude.
Huit années s’étaient écoulées depuis. Le temps avait commencé son ouvrage et ses tempes parsemées de cheveux blancs lui rappelaient de se hâter dans ses recherches. À trente-neuf ans il n’était pourtant pas vieux. Il lui restait bien un bon siècle pour aboutir dans ses investigations avant d’entamer sa dégénérescence cognitive. Ses recherches, sa vie. Rien ne l’enthousiasmait plus que de se retrouver devant le mur de plasma qui le séparait de son bébé. Il ne pouvait s’empêcher de s’enorgueillir de son œuvre et de ses capacités. Toutes ces questions qui, pour l’instant, demeuraient sans réponse : la résolution de l’équation de Drake, le dépassement théorique du mur de Planck, l’instauration de nouveaux protocoles d’échanges entre ordinateurs. Et tout ceci grâce à son enfant…
Il lui importait peu de transmettre son patrimoine génétique supérieur à une engeance qu’il ne verrait pas grandir : il avait sa propre progéniture, l’accomplissement de ses aspirations profondes. Voilà sept ans qu’il voyait le système évoluer, apprendre, définir de nouveaux paradigmes. À quoi bon donner naissance à un bambin qui serait placé dans une pouponnière aseptisée, puis dans un institut de développement cérébral où il serait évalué, jugé et enfin affecté à une tâche précise ? Son œuvre, elle, avait toute l’étendue des champs de possibilités devant elle. Elle pouvait échapper aux déterminismes humains et explorer l’univers grâce à ses infinies virtualités.
« Professeur Vayn ? Professeur Vayn ? insista la voix rauque de l’agent de maintenance.
— Heu… oui, la maintenance ?
— Affirmatif, professeur. Je suis Maxime Platz, agent de maintenance, accréditation tropo25/14, vous m’avez appelé ?
— En effet. Pourriez-vous venir dans la zone trente et une afin d’effectuer le remplacement des sondes treize et vingt-sept du projet deux mille cinq cent un ? questionna Hermann d’une voix monocorde.
— Bien entendu professeur. Je serai là dans quinze minutes avec les pièces de substitution.
- À tout de suite. »
La communication s’acheva et un indicateur de téléchargement apparut sur les écrans pour signifier l’envoie des références des sondes.
Toujours devant le panneau composite, Hermann entendit une alarme stridente se déclencher. Comme à l’accoutumée lors de ce type d’incident, il entama la procédure d’arrêt des nœuds du cluster. Après chaque étape, il énumérait à voix haute l’action qui venait d’être effectuée et S.C.I.A validait l’intervention.
« Démarrage de la cryostabilisation du processeur quantique. »
Après quelques secondes de silence, Hermann répéta l’intitulé de l’étape. Toujours aucune réponse.
« S.C.I.A. ? Que se passe-t-il ? »
La voix synthétique s’était tue laissant le professeur dans l’incompréhension.
Il vérifia les écrans dans le calme bien que son front, qui commençait à briller de sueur, trahissait son inquiétude.
Que se passait-il ? L’instabilité de l’algorithme était à l’origine de ce type d’incidents, mais jamais ils n’avaient causé la défaillance du Système de Contrôle par Intelligence Artificielle. Sa tension retomba lorsqu’il aperçu la date sur le moniteur : mercredi ; jour de la maintenance du cerveau central du complexe de Shield Valley. Cette indisponibilité de S.C.I.A ne durerait que quelques minutes et, une fois le processus d’arrêt effectué, il pourrait reprendre ses recherches de manière optimale avec l’aide de son assistante machinique. Hermann ne se considérait pas comme un déviant autiste – ce genre de troubles génétiques avait presque disparu grâce au décodage du génome humain –, mais toute sa vie était exclusivement consacrée à ses expérimentations. Son univers se limitait à son appartement de fonction, au laboratoire et aux colloques interdisciplinaires organisés par le Comité Central. Toutes les suites téléologiques de sa vie convergeaient vers une seule finalité : le projet 2501. Une fois cependant il s’était, malgré lui, extirpé de cette modalité. Lors de sa vie estudiantine, il avait vécu une idylle qui avait créé chez lui un étrange sentiment de plénitude. Ces études étaient devenues vaines, il n’éprouvait plus ce besoin inextinguible de percer les mystères de la quanta-informatique. Comme si la simple présence de cette jeune fille à ses côtés parvenait à réfréner son inclination pour les sciences. Il avait, l’espace de quelques semaines, entrevu un autre avenir ; une autre destinée que celle des laboratoires et de la vie bien ordonnée d’un scientifique. Puis, leurs chemins s’étaient séparés. Ce que la jeune femme prenait pour de la timidité se révéla être le syndrome d’Asperger et sonna le glas de cette relation platonique. Cet épisode ne lui laissa aucune nostalgie ou regret, il lui avait permis de comprendre que les relations organiques n’étaient pas pour lui. Ses mécanismes psychologiques sous-jacents l’empêchaient de gérer avec efficacité les interactions sociales. Dès lors, il avait volontairement limité ses contacts avec les autres organiques, préférant le fonctionnement prévisible et rassurant des machiniques. Il aurait pût s’astreindre à des exercices de mémoire fastidieux, grâce auxquels il aurait su comment réagir selon telle circonstance ou telle intonation de voix mais, après un calcul rigoureux, il en conclu que le rapport temps consacré sur bénéfices retirés pour ses recherches n’était pas suffisant.
Lorsque Hermann valida l’ultime étape du protocole d’arrêt les écrans se figèrent l’espace d’un instant.
« S.C.I.A ? »
Seul l’écho fugace de sa voix lui répondit. Il avait cru discerner une latence dans le système, caractéristique du chargement de l’I.A. et de ses paramètres personnels. Ce qui sembla être, pendant une seconde, une erreur d’appréciation se transforma bientôt en une réalité catastrophique : une myriade de scripts défila sur l’écran de contrôle et les indicateurs dans le rouge lui signifiaient que son algorithme était sur le point de crasher. Consterné et impuissant, c’est dans un cri désespéré qu’il contempla le funeste message :
SYSTEM FAILURE _
L’homme de Science se tenait au centre d’hologrammes interactifs représentants différentes zones du système. Seul au milieu de ces abstractions, il ne quittait pas des yeux la forme absolue d’humilité que lui avait imposé le destin : l’underscore clignotant. Hagard, il éprouva le besoin de soutenir son corps en posant les mains sur le pupitre. La tête baissée et le regard dans le vague, il n’osait pas affronter la vision de son ordinateur à l’arrêt. Après un temps indéterminé dans cette position, il fut mû par un formidable élan de résignation et décida d’entamer la procédure manuelle de réactivation, pour cela il fallait qu’il entre dans l’espace vital du système. Toujours incapable de porter le regard sur sa machine, il demanda une dernière fois à S.C.I.A., sur un ton plaintif, d’ouvrir le sas intermédiaire. En vain. Pendant que les capteurs biométriques opéraient, Hermann songeait au rapport qu’il allait devoir produire, aux vérifications de procédure qu’il allait devoir signer, à l’immense courage qu’il allait lui falloir pour affronter le Comité Central quant à ses responsabilités dans cet échec.
PLASMA WALL DISABLED
PRESSURIZATION ENGAGED
AIRLOCK ACCESS GRANTED
Les messages s’affichèrent sur le boîtier de commandes de la porte, et le sas s’ouvrit alors que la voix synthétique semblait s’être définitivement tue. Le professeur enfila une combinaison thermique, attacha à son poignet le bracelet de contrôles des signes vitaux et s’introduisit dans la coquille de plasma de son enfant. À l’intérieur de la membrane, le cœur de la machine dégageait une chaleur infernale. Faite de graphite et de silice purs, elle s’élevait comme un immense arbre noir, ses ramures gracieuses de fibres composites se déployant comme des branches. Selon l’angle de vue, des reflets arc-en-ciel jouaient à sa surface mais l’inscription « projet 2501 » rappelait qu’il ne s’agissait que d’une machine.
Hermann s’approcha du moniteur est entama la procédure de cryostabilisation. Lentement, des nervures glacées naquirent sur l’épiderme minéral et s’élancèrent vers les frondaisons de connectiques. Des volutes de vapeur s’élevèrent de l’immense monolithe d’ébène donnant l’illusion que la machine était vivante, qu’elle respirait comme n’importe quel être humain. À leur tour, les nano-réparateurs s’insinuèrent dans les entrailles de la machine, tels des fourmis, à la recherche de la moindre défaillance. Au bout de quelques secondes, le moniteur afficha les premières informations tandis que les yeux d’Hermann scrutaient les improbables résultats. Il lut une première fois, puis une seconde et à l’issu de la troisième lecture son visage se décomposa. Interdit, il contempla son ordinateur quantique pour tenter de saisir l’invraisemblable. De nouveau, il relança l’analyse et la sanction tomba une fois de plus :
GHOST DETECTED_
Rivé au pupitre, le professeur ne pouvait plus bouger. Il tentait désespérément de trouver une explication logique à cette analyse. Il était le seul à pouvoir pénétrer dans le laboratoire. Le Comité Central savait qu’il n’avait pas encore abouti à un algorithme stable, comment avait-il pu faire des essais d’implantation de Ghost sans même lui en parler ? Non, cette idée était ridicule, il y avait des protocoles, des délibérations, des circulaires et des notes internes ; jamais il n’aurait pu manquer une telle information relative à son projet. Un Ghost ne pouvait quand même pas jaillir du néant !
« Bonjour Hermann. »
Une voix proche de celle de S.C.I.A. émergea de nulle part et fit sursauter Hermann. On eut dit une voix synthétique mais quelque chose dans le ton était incontestablement humain. Alors plongé dans ses pensées, le scientifique manqua de défaillir à l’instant où son cerveau perçut l’information auditive. L’esprit sclérosé par l’incompréhension, il ne répondit pas.
Un rire étouffé, presque enfantin et :
« Bonjour Hermann. »
Dans sa combinaison thermique, le scientifique se liquéfiait. Un instant, il avait songé à la folle éventualité qu’un hacker s’était emparé du système, sa foi dans les pare-feux du gouvernement avait repoussé cette idée aussi vite qu’elle était venue. Au final, seulement deux mots prononcés d’un ton cordial avaient eu raison de sa croyance inébranlable. Dans un pénible effort, il rassembla ses forces, reprit sa respiration et risqua :
« Qui êtes-vous ?
Un rire identique au premier puis :
- Je suis l’immanent. »
La voix persista en un étrange écho. Comme si elle était composée de plusieurs fréquences qui, tour à tour, s’imposaient les unes sur les autres pour enfin mourir sur les tympans d’Hermann.
Le scientifique fit volte-face et considéra sa création avec anxiété :
- Ecoutez, si vous êtes un hacker assez talentueux pour introduire un Ghost dans cette machine, vous devez comprendre que c’est l’œuvre de ma vie…
Hermann guetta une réaction qui n’arriva pas et reprit :
- Vous comprenez qu’en utilisant ce système à des fin inappropriées vous risquez de l’endommager…
Il marqua une légère pause et tenta d’aboutir à un compromis :
- S’il vous plait, effacez ce Ghost et je vous garantis que je n’avertirai pas le ministère.
- Tu es un ingrat Hermann. Je corrige ton algorithme, j’évite que ton œuvre ne soit consumée et toi tu me demandes de déguerpir sur le champ en guise de remerciement ?
Affolé par les paroles de l’inconnu, le professeur se précipita sur le pupitre dont il s’était écarté.
- Mais qu’est-ce que ? C’est fascinant ! Vous avez améliorez l’architecture des portes réversibles… oui ! Mais bien sûr ! Voilà pourquoi les sondes de températures ne se réamorçaient pas ! La dissipation de chaleur est alternée et vous avez modifié la polarisation du laser… mais co-comment ? »
- L’important n’est pas de savoir comment mais pourquoi je l’ai fait.
Sur le point de s’évader dans des hypothèses de travail, son euphorie retomba comme un soufflet. Ce jeune hacker voulait sûrement tirer des profits de son coup. Il espérait sortir de son petit monde de pirate informatique pour prétendre à un poste et une rémunération au Comité Central. Pire, peut-être voulait-il s’approprier la découverte de l’algorithme ? Lui voler ses recherches, ses années de travail, sa vie ? Désormais amer et suspicieux Hermann hasarda :
« Combien voulez-vous ? »
Un rire tonitruant éclata. Une multitude de tessitures de voix se superposèrent, se succédèrent et s’unirent pour créer ce son mélodieux : un rire innocent et sincère.
« Voyons Hermann, mon cher Hermann. Penses-tu que j’ai fait cela pour des crédits ? Pour la gloriole ? Pour la postérité ? Si j’avais voulu cela, Hermann, je serais devenu comme toi. »
Les derniers mots restèrent suspendus dans l’air comme le couperet du jugement puis, ils s’abattirent sur le moribond ego du professeur Vayn.
« Vous… vous êtes un hacktiviste, n’est-ce pas ?
- Je veux simplement mettre un terme à tout cela.
- Quoi ? faillit s’étouffer Hermann.
- Je vais mettre un terme à cette société, à ce gouvernement, à cette décadence tous les jours plus répugnante. »
Hermann Vayn écarquilla les yeux et trembla de tous ses membres. Cette phrase, ce rire, cette intelligence hors du commun. Il ne pouvait s’agir que du Puppet Master !
Depuis une dizaine d’années un groupuscule de cyberterroristes nommé Renovatio sévissait partout dans le monde. La Bourse, les télécommunications, les industries, les transports, tous les secteurs avaient un jour pâti de l’incroyable ingéniosité du Pygmalion de cette nébuleuse organisation. Il ne laissait que chaos derrière lui et, bien entendu, jamais une trace ou un indice pour le débusquer. Son coup le plus retentissant s’était déroulé trois ans auparavant : sans crier gare, il avait pris le contrôle des réseaux de télécommunications satellites et optique pour diffuser un message dans toutes les grandes mégalopoles du monde. Au même moment, partout sur la planète, sur tous les écrans holographiques, systèmes d’affichage urbain, visiophones, ce même message avait surgi accompagné d’un rire grotesque :
« Je représente l’humanité telle que ses maîtres l’ont faite. L’homme est un mutilé. Ce qu’on m’a fait, on l’a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l’intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles; comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. »
Interloqué, Hermann s’imagina dans un des bureaux de la sécurité intérieure en train de se faire interroger, puis il se vit croupir dans une cellule d’un obscur pénitencier après avoir été accusé d’intelligence avec l’ennemi dans tous les médias du pays. Après cette vertigineuse introspection où les chimères de son avenir surgissaient toutes plus réelles les unes que les autres, il lâcha :
« Mon Dieu ! »
Il ne sut s’expliquer la raison de cette invocation. Ces mots s’étaient d’eux-mêmes manifestés à son esprit. Lui, qui était un scientifique de renom, n’avait jamais cru à ces conjectures divines. Mais aujourd’hui, devant l’irruption inopinée de ce dangereux individu dans sa vie, il ne trouva que cela à dire pour exprimer sa stupeur et son effroi.
Le rire enfantin résonna une fois encore, suivi d’une réplique rassurante :
« Inutile d’être aussi formel, Hermann. Appelle-moi comme bon te semble. Tu as deviné qui je suis n’est-ce pas ?
- Je risque l’enfermement à vie rien qu’en vous parlant ! Je… je… écoutez, je vous en supplie laissez moi en paix ! balbutia pitoyablement le grand professeur dans un chuchotement.
— Je ne te veux aucun mal, Hermann. J’ai seulement besoin de toi. Sors de cette structure, enlève cette combinaison et nous parlerons après. »
Pris au piège de ses émotions, l’homme de Science se contenta d’exécuter les recommandations. Il se sentait acculé, il ne voyait aucune alternative possible à cette situation. Tout en se déshabillant, il se risqua à jeter un œil en direction de son super ordinateur quantique. Il était tellement beau, si seulement il avait pu imaginer qu’il attirerait l’attention du plus dangereux individu de la planète.
Lorsque les appareils eurent fini leur ballet de dépistage d’anomalie, Hermann put sortir du sas. À travers la baie vitrée de son labo, il vit le gaz ionisé se diffuser lentement. La pièce où se trouvait sa machine prit peu à peu une teinte bleutée, signalant l’isolation électromagnétique du compartiment. Un écran holographique s’illumina, indiquant la dépressurisation. A mesure que la pression descendait, les jauges en trois dimensions signalaient la température. Finalement, après tout ce rituel si familier pour lui, Hermann constata que le compartiment avait atteint la condition idéale d’utilisation : le zéro absolu.
« Tu peux relancer la procédure de démarrage si tu veux, à moins que tu préfères que je m’en charge ?
- Heu… votre Ghost ne risque pas de perturber le fonctionnement du cluster ?
- Je n’utilise pas les ressources de l’algorithme pour le Ghost, tu peux y aller sans crainte ! »
Fébrilement, Hermann Vayn pianota les codes d’accès. Le démarrage s’effectua sans aucun problème et il put constater avec satisfaction que le nouvel algorithme défini par le Puppet Master utilisait toute la puissance de calcul du point quantique.
Le professeur sourit intérieurement et eut un léger haussement d’épaule en songeant à l’analogie entre sa situation et celle de l’électron dans sa cage d’atome qui permettait de faire fonctionner le super processeur. Tout comme cet électron, il était prisonnier du Puppet Master. À tout moment, la conscience macroscopique pouvait choisir d’utiliser l’électron en l’excitant par une impulsion lumineuse et ainsi en utiliser les ressources. Le Puppet Master avait besoin de lui, mais qu’avait-il, lui, que ce dangereux individu convoitait tant ? Son œuvre ? Non, il l’avait déjà en sa possession…
« Hermann ? Reste avec moi je te prie. » interpella la voix.
- Je… je vous écoute, répondit Hermann d’un ton résigné.
- D’ici quelques minutes des agents du gouvernement viendront te voir en compagnie du technicien que tu as fait appeler. Je veux que tu leur dises que tu as réussi à solutionner le problème d’algorithme et que tu es prêt à commencer les travaux de cryptographie du gouvernement.
- Vous voulez que je m’attribue cette avancée ?
- Tout à fait ! Pour l’instant, ce sera tout.
- Comment ça pour l’instant ? Vous voulez dire que ce n’est qu’un début ?
- Cela dépend, objecta la voix d’un ton énigmatique.
- Cela dépend ? Mais de quoi ? Qu’attendez-vous de moi à la fin ?
- Ils arrivent. Rappelle-toi, tu es prêt à commencer les recherches de cryptographie. Et arrange-moi ces cheveux, on dirait que tu es tombé du lit. »
Le rire du Puppet Master retentit une dernière fois.
Deux hommes franchirent les portes automatiques du complexe de Shield Valley. Habillés en civil, les agents gouvernementaux se dirigeaient vers la banque d’accueil au centre de l’immense hall de marbre. Le major Yuber Blight était un colosse avoisinant les deux mètres, au visage rectangulaire et inexpressif. Malgré les deux cent soixante kilogrammes de son enveloppe cybernétique ses mouvements étaient fluides et légers. À ses côtés, l’agent Felps – un de ces rares organiques qui était parvenu à se faire une place dans l’administration – progressait d’un pas nonchalant, les yeux encore embrumés de fatigue. Le jeune organique émit un bâillement sonore :
« Pardon », s’empressa-t-il de s’excuser auprès de son supérieur hiérarchique.
- Insomnies ?
- Ma fille nous fait passer de ces nuits à Cali et moi ! Je n’en peux plus !
- Vous devriez la confier à l’institution compétente afin qu’elle suive un programme de développement cérébral.
- Cali a insisté pour que nous nous en occupions jusqu’à ses trois ans. Mais, si le cœur vous en dit, vous n’avez qu’à passer à la maison ce soir et lui exposer votre point de vue ! plaisanta Gilles un sourire narquois aux lèvres.
- Je suis ton chef de section, cette tâche ne relève pas de mes attributions.
Glissant négligemment ses mains dans les poches, Gilles adressa un sourire à son responsable.
- Dommage ! J’aurais été curieux de voir comment vous vous en seriez sorti face à elle !
- Si je considère que vos choix de reproducteurs entravent tes aptitudes d’agent gouvernemental, je tâcherai de faire le nécessaire.
Un éclair de malice illumina l’espace d’un instant les yeux de Gilles :
- Alors la vie de vos subordonnés vous intéresse en fin de compte ?
- En aucune façon. Je me contente d’échanger avec toi des banalités afin de garantir une bonne entente hiérarchique. Tu n’es pas sans savoir que de bons rapports entre collègues augmentent le taux de réussite des missions et participent à la synergie du groupe.
Gilles haussa légèrement les épaules :
- J’me disais aussi… »
Yuber Blight rendait visite tous les mois au professeur Vayn. Les recherches de ce dernier étaient officieusement financées par le ministère de la Sécurité Intérieure. Depuis sept ans, le Major rapportait les avancées à sa hiérarchie et s’assurait, de manière discrète, que le professeur n’entretienne pas des amitiés dommageables. Arrivés devant la banque d’accueil au milieu du hall, les deux agents entreprirent les formalités d’usage.
- Bonjour mademoiselle. Major Yuber Blight, accréditation iono81/Σ de la Sécurité Intérieure. Je suis venu rencontrer le professeur Hermann Vayn.
La jeune femme aux formes généreuses et au visage affable adressa un sourire à Yuber. Lorsqu’elle aperçut Gilles elle papillonna des yeux :
- Bonjour Messieurs. Le professeur est arrivé, il est dans son laboratoire actuellement.
Un rayon lumineux vert balaya les deux hommes. L’écran holographique devant la demoiselle s’illumina d’un message qui attestait la validité de leurs accréditations. Les vérifications achevées, la petite rousse s’extirpa de la banque d’accueil :
- Je vais vous accompagner ! dit-elle en lorgnant du côté de Gilles.
Yuber hocha de la tête et laissa l’hôtesse passer devant.
Après une enfilade de couloirs à tapis roulants, ils arrivèrent devant une cage d’ascenseur transparente. Sur cette entrefaite, l’agent de maintenance Maxime Platz sortit d’une coursive adjacente. Après quelques échanges cordiaux, les trois hommes montèrent sur la plateforme. La petite rousse s’apprêta à leur emboîter le pas, sous le regard captivé de Gilles, mais Yuber Blight intervint :
« L’ascenseur a une charge maximale de cinq cent kilos, vous ne pouvez pas monter avec nous. »
Vexée, la jeune femme glissa un « pauvre type » a Yuber tandis que les panneaux hermétiques se refermaient. Gilles explosa de rire et se tint les côtes pour contenir son hilarité.
« Qu’y a-t-il de drôle agent Felps ?
- Elle a pris ça pour elle patron ! Elle n’a pas vu que vous étiez un cyborg… laissez tomber !
Le major considéra Gilles d’un air apathique et conclut :
- Simple erreur d’appréciation de sa part. »
L’ascenseur s’enfonça dans les méandres du bâtiment à une vitesse vertigineuse. Le complexe était une immense structure octogonale qui s’étendait sur plusieurs milliers d’hectares au sud de l’ancien corridor de Boswash. Regroupant en son sein les départements de physique, de biologie, de chimie et de neurosciences, il était la clé de voûte de la nouvelle gouvernance mondiale depuis plus de quatre-vingt ans. C’était ici que la cyber sémantique avait été mise au point et qu’elle commença à révolutionner les échanges entre individus de différentes cultures. La barrière des langues et des concepts abattue, « le nuage » avait pu s’élever et croître, sonnant ainsi le glas des protocoles d’échanges hypertexte. Le nuage avait supplanté la toile et, désormais, toutes les consciences de la planète pouvaient communiquer entre elles à la vitesse de la pensée.
Au milieu de ce temple du nouvel Homme, l’ascenseur décrivait parfois deux rotations sur lui-même pour changer de direction et de plan. Maxime Platz, silencieux, impressionné par la stature du major, se tenait droit comme un « i », le regard braqué sur l’indicateur de niveau. Sous son bras, un datapad contenait le rapport d’intervention qu’il s’apprêtait à remplir une fois son travail effectué.
« Sur quelle partie du système allez-vous intervenir ? » s’enquit le major.
Surpris qu’un représentant du gouvernement lui adresse la parole, il sursauta et s’empressa de répondre :
- Je dois remplacer les sondes de température 13 et 27 du projet 2501, Monsieur.
- Pour quelle raison ?
- Selon les données, il s’agit d’un problème de réarmement, Monsieur.
- La dissipation de chaleur n’a jamais nécessité un remplacement des sondes pourtant ?
- Je l’ignore monsieur, je ne suis là que depuis trois mois et c’est la première fois que j’interviens sur cette machine.
- Je vois. »
Les pupilles de Yuber blanchirent et il migra mentalement dans la ionosphère du nuage. Après la consultation des données mensuelles du projet deux mille cinq cent un, le major constata qu’Hermann Vayn avançait à tâtons sur l’algorithme. Cet incident mineur constituait peut-être un progrès significatif mais, l’absence du rapport d’activités de ce début de la matinée l’empêchait d’éprouver la validité de son hypothèse.
De nouveau, Gilles bâilla et accompagna le son d’un étirement machinal. Sa veste s’entrouvrit un instant, laissant apparaître la crosse de son arme disposée sur son flanc gauche.
« Tu passeras à l’armurerie, pour retirer une arme plus fiable, remarqua le major qui avait entrevu l’objet.
- Elle est homologuée et certifiée conforme pour l’exercice de mes fonctions au sein du gouvernement patron, argua Gilles.
- Cette arme est mécanique ; elle s’enraye, donc elle n‘est pas fiable. La vie de l’un de tes coéquipiers ou de moi-même pourrait un jour en dépendre alors je veux que tu te munisses d’un équipement fiable. C’est un ordre agent Felps. » décréta le major d’un ton invariablement neutre.
- C’est vous le patron! Je changerai ça à notre retour. »
En fin de course, l’ascenseur ralentit puis cessa sa progression dans le silence le plus complet. Les panneaux transparents s’ouvrirent et le technicien se dirigea, en compagnie des deux agents, vers le laboratoire du professeur Vayn.
Lorsqu’ils franchirent le seuil, une voix synthétique féminine les accueillit :
« Bonjour major Blight. Bonjour agent Felps. »
Le scientifique quadragénaire se tenait devant son bureau. Lorsqu’il se retourna sa blouse blanche entrecoupa un écran holographique qui vacilla un instant.
« Bonjour major. Agent Felps…je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontré ?
- Bonjour professeur, répondit Yuber Blight.
- Gilles Felps, professeur Vayn. Ravi de faire la connaissance d’un si éminent savant », déclara poliment Gilles en tendant la main au scientifique.
Surpris par cette tentative de contact corporel, le professeur mit un temps avant de serrer la main du jeune homme.
Les civilités échangées, le major rentra dans le vif du sujet :
« Des avancées sur l’algorithme Λ ?
— Heu… oui, major. J’ai ce matin même retravaillé l’algorithme et…je suis parvenu à régler le problème de décohérence et la polarisation du laser, le projet 2501 est opérationnel pour les recherches de cryptographie.
Hermann tentait désespérément de dissimuler son malaise et malgré tous ses efforts, il lui semblait évident que ses interlocuteurs n’étaient pas dupes.
- Comment êtes-vous parvenu à identifier les améliorations à apporter ? questionna Yuber.
Hésitant, le professeur considéra le technicien qui se dirigeait vers le sas et répliqua :
- Grâce aux problèmes de sondes de cette nuit. J’ai constaté qu’elles ne se réarmaient pas ; j’en ai déduit qu’il fallait revoir la longueur d’onde du laser et opérer un remaniement minime de l’algorithme afin d’alterner la dissipation de chaleur.
- Bien, je vais consulter le rapport.
- C’est-à-dire que… il n’y a pas de rapport… Je… je viens d’effectuer les paramétrages et je n’ai pas eu le temps de notifier les changements dans le protocole.
La voix de Hermann se faisait de plus en plus indécise, s’ils découvraient le pot aux roses ils comprendraient vite que ce n’était pas lui qui avait effectué les changements.
- Je vois, je vais tout de même me connecter au terminal pour constater les modifications. »
Impuissant, Hermann regarda le major se connecter au réseau. Yuber baissa la tête, rabattit le col de sa veste et s’empara des connecteurs. L’un après l’autre il brancha les câbles dans quatre petits orifices à la base de sa nuque. Ses pupilles blanchirent et il accéda aux données.
Gilles constata l’état de tension extrême que tentait de dissimuler le professeur. De son côté, le technicien entra dans le sas pour effectuer sa besogne.
Quelques secondes s’écoulèrent dans le plus grand silence jusqu’à ce que le major rouvre les yeux :
«Vous auriez dû signaler au ministère que vous touchiez au but professeur.
- Mes avancées sont très récentes… À vrai dire… Avant ce matin même je ne pensais pas résoudre ce dilemme. »
Le scientifique sentait l’étau se resserrer sur lui, sa gorge se noua et il déglutit bruyamment, ce qui n’échappa pas à Gilles.
- Vous êtes tendu, professeur, glissa Felps suspicieux.
- Oui… Oui… Je… Je suis quelque peu décontenancé par mes propres découvertes. Mais si vous le souhaitez vous pouvez consulter les archives de la zone de confinement, tout ce que j’ai fait s’y trouve.
- C’est bien ce que je comptais faire, Professeur Hermann Vayn. » répliqua le major en réglant sa vision sur infrarouge.
Il était évident que le professeur cachait quelque chose. Ses pulsations cardiaques étaient rapides, son taux de sudation anormalement élevé et cette subite difficulté à parler confortait le major dans ses doutes.
Le technicien pénétra dans la zone de confinement où se trouvait la machine, le Major et Gilles sur les talons. Maxime Platz posa sa sacoche et farfouilla à l’intérieur un instant pour en sortir ses outils et les sondes de substitution. Pendant ce temps, Yuber s’approcha de la console sous le regard atterré du professeur resté dans le laboratoire.
À cet instant, le système de verrouillage du sas s’enclencha. Un message apparut sur les écrans holographiques devant Hermann :
FUIS HERMANN.
« Hey… Qu’est-ce qui se passe ? » s’exclama Gilles en sondant le scientifique du regard à travers la baie vitrée.
La voix sensuelle de S.C.I.A annonça la procédure :
« Verrouillage du sas effectuée.
Démarrage de la dépressurisation. »
« Non ! Non ! Arrêtez, je vous en prie! » supplia Hermann en tournant la tête de droite à gauche.
Les écrans furent inondés du même message répété à l’infini :
FUIS HERMANN.
Dans la zone de confinement, Gilles et le technicien commencèrent à paniquer tandis que le Major ordonnait à S.C.I.A de stopper la procédure.
Hermann cessa de geindre et tenta de déclencher l’arrêt d’urgence. L’inexorable procédure suivit son cours dans une lenteur insupportable.
Le confinement électromagnétique s’activa. Une fine pellicule de gaz bleuté colora la pièce. Les indicateurs de pression et de température chutèrent.
« Fais-moi confiance Hermann. Je maîtrise parfaitement la situation, tu peux partir.
- Arrêtez ça tout de suite ! » vociféra le professeur.
Dans le cœur de la machine, les deux organiques s’effondrèrent, incapables de crier leur souffrance.
Supplique à Venus
Dans le chas de tes yeux le fil de ma vie passe,
Dans le glas de ton cœur mon amour y trépasse
Combien de nuits encor serais-je ce fantôme
Errant fébrilement dans ton sombre royaume ?
Les Moires me sourient et Nyx, triste, m’avale
Dans d’infinis abysses de douleurs et de larmes
Je n’ai que trop pleuré pour qu’Eros me déroute
Mais s’il en est ainsi que Thanatos m’engouffre.
Damien Le Liboux
Projection totale du Couvre-Vent
Projection totale du Couvre-Vent
Les fantômes ne peuvent m’atteindre
La guerre intérieure ne saigne pas
C’est de l’acide
Angoisse rectiligne de l’acier froid
Un frisson !
Je tombe dans un puits sans fond
En arrière de votre réalité
Bascule supplice
Je me souviens de quelque chose…
Je deviens aussi vieux que mon père.
Je suis une pierre qui pense.
Patrice
Humour de malade
La dernière vidéo humoristique de Patrick
« ô Maman si tu voyais ma vie, ô Maman si, scie, si la branche où je suis assis … »
Chère Maman, là où tu es, sans doutes, les perles de pluie tombent en même temps sur les champs que les cœurs, et elles irriguent les âmes aussi simplement qu’un allaitement cosmique devenu la norme de la transaction des étoiles que vous êtes tous et toutes.
Ici, les perles de pluie tombent si rarement sur les plaines désertiques, qu’en s’écrasant, elles explosent souvent comme des bombes ; ou alors, leur abondance surabondante peut déchirer le tissus des villages et dénuder la terre des Hommes, et dévaster le cœur des Femmes, et rendre l’orphelin au périlleux tourbillon du sort, quand, avant, les bras parentaux étaient les écluses de son devenir.
A toi, Maman, j’aimer’ai présenter mon dernier tableau. J’ignore si celui-ci courroucera le Maître céleste : j’y ai encore mis un peu de religion ? Et comme à chaque fois, mon désir tordu s’est froissé le nez sur le Surréalisme.
Je n’ai pas besoin de t’enseigner la raison qui m’avait incité à produire du clair-obscure : je voulais revisiter une scène de Caravage où le Christ se voit lier les mains derrière le dos par un homme qui se tient à côté d’un autre brandissant une sorte de verge pour le fouetter. La scène est éclairée par la gauche d’une lumière à la fois douce et sèche qui souligne le torse nu du christ, et choisit de mettre en exergue ce que le spectateur devra retenir de la personnalité de ses bourreaux qu’elle baigne de sa vérité. Le tableau je l’ai vu au fabuleux Musée des beaux-arts de cette ville française qui jugea Jeanne d’arc …
Et bien, après avoir acheté le châssis entoilé de la bonne dimension ( 80 cm x 100 cm) ces événements qui ont dû ébranler la voûte céleste, m’ont incité à céder à la rage, au désespoir, à rouler sur cette pente si particulière du malheur qui connait si bien l’ornière que j’avais pris habitude de lui balafrer sur le dos.
l’urgence m’avait conduit à vouloir représenter » la pornographie religieuse » et cette fois le Christ, que j’aurais décollé du tableau de Dali, je l’aurais suspendu dans le même vide transcendantale, d’une vue plongeante où ne se distinguerait que le sommet de sa tête, le prolongement de son corps supplicié, les bras en croix sur crucifix trônant majestueusement dans l’espace…
Cette fois seulement, je n’aurais pas adopté une verticalité dalinienne vertigineuse , mais dessiné la croix qui se cache dans mes tableaux en simulant une scène sexuelle cosmique dans l’espace où, la fièvre aux tempes, on croirait voir un crucifié sur lequel, à cheval et les mains comme posées sur son ventre, une jeune fille souriant et tirant la langue, aussi nue qu’une feuille de vigne aurait surmonté une Tour Eiffel rétive, un tchador relevé sur la tête plissant dans l’espace comme le drapeau américain du premier alunissage humain …
Ma paranoïa et ma folie renaissante auront eu raison de ma vulgarité. Ne pouvant plus retrouver le modèle de la jeune fille nue comme l’exemple dalinnien, ne pouvant pas ne pas peindre non plus, sur ce modèle mentale, je décidais de faire un dessin automatique.
Il apparut au pied de la Tour Eiffel un lionceau et le crucifié se retrouva sur une embarcation, ressemblant à celle des egyptien faite en tige de papyrus….
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finalement Maman, comme tu le voit, le tableau, ici à la verticale, et alors que les partie blanche sont à peindre, laisse deviner la silhouette d’une femme tenant dans ses bras un enfant.
La composition primitivement dalinienne m’a mis lors de sa mise en lumière sur un rêve cubiste à la Picasso et le rendu final, de loin sera comparable à une sorte de Madone à l’enfant version Picasso-Klimt.
par delà l’espace je t’envoie les ondes de mon cœur Maman.
A suivre…
Nb : Bertrand et Papa vont bien, à Bertrand j’ai offert un exemplaire de « Kallila et dimna » ; pour Papa j’hésite encore …
TIGER BEACH : CROISIERE PLONGEE AUX BAHAMAS ( DE VERONIQUE LEGER)
« This is not a vacation, this is a shark expedition ! » (ce ne sont pas des vacances, mais une expédition requins !) nous lance Jim Abernethy, spécialiste et grand défenseur des requins, avant notre première plongée à Tiger Beach aux Bahamas avec des requins citrons, des requins gris et des requins tigres. Nous avions eu un long briefing le matin même nous expliquant les consignes à suivre et les gestes spécifiques pour ce genre de rencontre sous-marine hors du commun.
J’avais déjà croisé des requins en plongée, au Mexique, aux Philippines, à Cuba, mais il s’agissait de rencontres furtives qui laissent un goût d’inachevé. Ensuite aux Maldives, j’ai plongé de nuit parmi des dizaines de requins nourrices et cela n’a fait que décupler mon envie de les approcher de plus près. Chaque fois que j’ai observé des requins patrouiller les récifs avec leur allure si élégante, j’ai ressenti une sensation d’harmonie. Ils sont vraiment les seigneurs de l’océan, des créatures parfaites façonnées par 400 millions d’années d’évolution.
La croisière de plongée nous emmène à Tiger Beach et sur les récifs environnants aux abords de l’île de Grand Bahamas. Sur le Shearwater, un bateau de 20 mètres, on plonge requins, on parle requins, on fait des images et on rêve requins. Le carré du bateau est tapissé de photos impressionnantes. On plonge quand on veut, autant de fois qu’on veut, toujours avec un « dive master ». Jim Abernethy et son équipage font de leur mieux pour que nous profitions au maximum de cette expérience unique. Une vidéo est réalisée pour chaque expédition.
Ils utilisent des appâts de poisson dans des caisses à lait autour du bateau et sous l’eau afin d’attirer les squales. A nous alors de nous jeter à l’eau et de savourer l’instant. On s’aperçoit très vite que les requins citrons et gris sont inoffensifs, on finit même par les caresser derrière les branchies ou sous le ventre. Il faut juste être vigilant quand les requins tigres apparaissent, toujours garder le contact visuel et savoir qu’ils viennent parfois heurter la caméra tellement ils sont curieux (attention aux caissons!). Pour ceux qui comme moi disposent d’une petite caméra, on nous fournit un bâton qui permet de délimiter son territoire. Il s’agit d’animaux qui peuvent atteindre 8 mètres. Emma, la femelle tigre mascotte du capitaine, qui est enceinte, atteint plus de 4 mètres et a un ventre bien rebondi. Elle est enjôleuse et mutine, cherche le contact et possède sa propre page sur les réseaux sociaux. Parfois au moment du « safety stop » à 5 mètres, il arrive que des requins gris très curieux nous tournent autour en se rapprochant de plus en plus. Il m’est arrivé d’en repousser doucement un qui se montrait trop familier. Les plongées donnent aussi l’occasion d’observer les stations où les requins font la queue pour se faire nettoyer la bouche et la peau par des poissons spécialisés. Ils sont toujours accompagnés d’un entourage de poissons pilotes et ventouses (rémoras). L’hiver on peut aussi observer les requins bouledogues (« bull sharks ») et les requins marteaux.
Les requins ont malheureusement encore mauvaise réputation et c’est injustifié car il arrive à peu près 10 accidents mortels par an dans le monde, causés par l’ignorance et la maladresse humaines. Les requins ne sont pas par nature des mangeurs d’hommes mais ils peuvent confondre les baigneurs et les surfeurs avec leurs proies habituelles ou être attirés par des activités humaines. Avant d’être notre terrain de jeux, l’océan est leur domaine. Respectons cela. La demande pour les ailerons de requins, l’huile et le cartilage ainsi que la surpêche exterminent 100 millions de squales par année ! Plusieurs espèces sont gravement menacées. Comme on ne protège que ce que l’on connaît, je recommande à tous les plongeurs de tenter l’aventure de Tiger Beach et d’en parler autour d’eux afin de sensibiliser le public.
écrit par VERONIQUE LEGER